Réflexion sur le soi et image de soi
Vu par Ovide, Kafka, Dolto, Disney et les autres…
J’observe du coin de l’oeil les adolescents, qui a l’âge de la puberté, passent leur temps à se regarder : Toute surface réfléchissante sert de miroir à ce corps en transformation, sert aussi de support d’appropriation de cette image mouvante…
S’intéresser au soi et l’image de soi, c’est se questionner sur :
ce que l’on voit dans le miroir,
ce que l’on montre, ou que l’on travesti,
ce que l’on vit, ressent, en soi.
Thanksgiving, Blackfriday, Noël, Hanouka, et soldes en tout genre, …
Les magasins s’emplissent de strass et de nourritures… Nous proposent mil objets, vêtements, aliments pour satisfaire notre idée de la fête..
Tout pousse à consommer comme si Avoir c’était Etre, comme si se parer de paillettes c’était montrer sa joie, comme si se goinfrer s’était se sentir repu…
Sans remettre en question la nécessite de la convivialité, de la fête et du rituel, il est aussi une autre manière de voir ce temps-là, qui, dans l’obscurité du solstice d’hiver, nous propose de nous parer de lumières.
« Miroir mon beau miroir qui est la plus belle ? »
Du mythe de Narcisse à l’origine d’un concept définit par la psychanalyse…
Narcissice est un jeune homme de la mythologie grecque, doué d’une grande beauté. Dans Les Métamorphoses d’Ovide, il est le fils du dieu-fleuve Céphise et de la nymphe Liriopé. À sa naissance, sa mère apprit de Tirésias qu’il vivrait longtemps, pourvu qu’il ne vît jamais son propre visage. Cependant, arrivé à l’âge adulte, il s’attira la colère des dieux en repoussant l’amour de la nymphe Écho. Poussé par la soif, Narcisse surprit son reflet dans l’eau d’une source et en tomba amoureux ; il se laissa mourir de langueur ; la fleur qui poussa sur le lieu de sa mort porte son nom.
Selon une autre version rapportée par Pausanias, c’est pour se consoler de la mort de sa sœur jumelle, qu’il adorait et qui était faite exactement à son image, que Narcisse passait son temps à se contempler dans l’eau de la source, son propre visage lui rappelant les traits de sa sœur. (encyclopaedia universalis).
Pour Rousseau, c’est dans cette farce intitulée « Narcisse ou l’amant de lui-même » qu’il raconte l’histoire d’un jeune homme qui tombe amoureux de lui-même travesti en femme.
C’est en écho à ce mythe que Freud a, le premier, élaboré le concept de narcissisme qui est définit en psychanalyse comme une «étape du développement de la libido au cours de la formation du moi conçu comme objet d’amour », un investissement de soi sur soi en quelque sorte.
Le terme est aussi utilisé au sens psychologique courant d’une estime de soi ou d’une confiance en soi. Ainsi nos patients parlent, ou montrent d’eux, d’un manque de confiance en soi, du mauvaise estime de soi. Ce narcissisme peut parfois se révélé de manière excessive, on le nomme alors égocentrisme ou égoïsme. Certains aspects du narcissisme sont considérés comme des troubles en psychopathologie et figurent dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5).
Le stade dit « du miroir » …
Le stade du miroir est un stade dans le développement psychologique où l’usage du miroir amène l’enfant à prendre conscience de son corps et à le distinguer des autres corps. Parmi les psychiatres et psychanalystes à étudier ce phénomène, il y Jacques Lacan, Donald Winnicott et Françoise Dolto. C’est eux qui introduisent ce stade dans la théorie psychanalytique, chacun avec ses apports et subtilités. Tous évoquent cette construction du soi, nommé aussi narcissisme. Et tous montrent que c’est construction est liée au regard, et à la relation, donc à la présence d’un autre être.
C’est notamment dans le regard de l’Autre qu’un être se construit. Ce regard qui s’arrête apparement à ce qui est apparent de soi. Mais pas seulement puisqu’il semble que le regard de l’autre pénètre en soi, et est constitutif du soi.
Que se passe t-il si le regard n’a pas été assez nourrissant ? Et si la vie met à mal ce reflet de soi-même ?
Ce que l’on montre, ou que l’on travesti
Ce qui est vu, c’est son apparence.
Ce que l’on montre de soi est autre chose.
Qui n’a pas senti un jour, la distorsion entre son apparence extérieure et son état intérieur ?
Qui n’a pas joué avec son image : joué, enfant, à se déguiser ; joué adulte à faire le fort ou la belle, à se camoufler derrière du maquillage, un sourire ou une attitude désinvolte voire indifférente, cynique ou encore relativiste.
Se taire, se cacher… des autres et de soi-même…
Se trouver des aménagements pour se sentir bien en trouvant une image satisfaisante de soi dans le miroir et dans le regard des autres.
Certains sont mal à l’aise avec leurs images, d’autres avec leurs perceptions. Tous expriment un désaccord, une dysharmonie, comme si la sensation de soi et l’image de soi n’avaient pu s’étayer dans un environnement suffisamment bon et nourrissant pour se rassembler dans un axe image-perception qui soit cohérent.
Pour illustrer cela, intéressons-nous aux personnes qui souffrent de phobies, de compulsions alimentaires ou d’achats par exemple, car elles sont en prise avec ces distorsions.
Je pense à cette patiente qui traverse une crise de vie importante : elle a pris 20kg et se ruine en achats compulsifs de maquillage. Elle est « mal dans sa peau » et, dans un premier temps cela s’est manifesté autour de l’image de soi. Manger et se maquiller sans cesse.
Je pense à cet autre patient qui se bourre de médicaments pour cacher sa claustrophobie et faire semblant d’être tout à fait à l’aise dans les salles de réunions sans fenêtres ou dans l’ascenseur.
Plus troublant encore, cet être qui change de sexe pour adapter « l’extérieur » à son sentiment intérieur. Cette femme transgenre qui me racontait quasi blasée la soirée de la veille où elle s’était faite casser la gueule (encore une fois) par des hommes qui ne supportent pas « la trahison » que cette femme représente aujourd’hui à leurs yeux. Elle ne mesurait pas comment son apparente indifférence cachait son désarroi et sa solitude.
Comme dans ce magnifique récent film Girl, où, bien qu’étant totalement accueillie dans sa transformation (par sa famille, l’école de danse…), l’héroïne traverse une profonde dépression (reflet de la distorsions entre l’image externe et la perception interne de soi).
Qu’est-ce qui est montré, qu’est-ce qui est travesti et pourquoi ? Comment articuler ces distorsions de perceptions : Images et sensations de soi ?
Comme si la solution, le support, le secours venait de l’extérieur… dans le regard de « maman ». « Miroir mon beau miroir… qui est la plus belle ? »
La métamorphose : La sensation de soi
Kafka dans la Métamorphose nous offre une excellente métaphore de la transformation externe en regard de la transformation interne. Le merveilleux du livre consiste, notamment, en cette description précise de l’état interne de ce personnage en transformation, de l’incidence que cela a sur sa perception de lui même et des autres à son égard.
Comme le dit Françoise Dolto, nous avons une image inconsciente du corps qui est la représentation que chacun se fait de son propre corps.
Cette représentation se construit à partir de souvenirs, d’émotions et donc de sensations. Elle est propre à l’histoire personnelle de chacun et peut évoluer au fil du temps. Elle est la mémoire des relations vécues avec les autres et se structure par la relation à l’autre. En ce sens, elle est le support du narcissisme.
Parallèlement, la notion d’image du corps est à distinguer de l’idée de schéma corporel de l’enfant. Le schéma corporel désigne le corps réel, celui dont s’occupe la médecine. Il est, en principe, le même pour tous les individus. Il se structure par l’apprentissage et l’expérience. Il évolue dans le temps et l’espace. Il peut être tout à fait indépendant de l’image du corps, mais tous deux se modèlent progressivement au fur et à mesure de la vie.
Chacun de nous a donc une image inconsciente de son corps qui s’est construite au fil du temps et en fonction de son environnement psycho-affectif, et qui peut être tout à fait différente de l’apparence extérieure. Il y a une différence entre l’image de soi dans le miroir, la représentation que l’on s’en fait lorsque l’on a les yeux fermés, et la sensation de soi.
Ressenti et appropriation de soi : L’identité organique en Analyse Psycho-Organique
Comment retrouver et/ou intégrer en soi une image de soi en cohérence avec son ressenti ?
C’est ce que propose l’Analyse Psycho-Organique au travers de différents dispositifs qui soutiennent le patient vers l’accès à son corps et son image en partant de sa perception dans le présent, en résonance avec la perception passée, dans un va-et-vient entre sensations et images.
Un exemple parmi d’autres – le contour et l’enveloppe : Lorsque cela apparait opportun pour le processus, le thérapeute peut proposer au patient une relaxation guidée qui lui permette de se centrer sur ses sensations et sa respiration puis le contour de son corps. Il s’agit de l’inviter à sentir son enveloppe-peau (cf. Le Moi-Peau de Didier Anzieu). Il est intéressant d’observer que parfois la personne n’est pas toujours en mesure de sentir son enveloppe, ou qu’elle peut la sentir avec des zones floues, voire absentes. Au travers de ce dispositif, c’est déjà tout un monde qui s’ouvre entre la sensation de soi et l’image de soi. Il est possible alors, par exemple, d’ajouter une dimension à la perception de soi et son corps en proposant au patient un « packing » : toucher en posant les mains, de manière contenante, sans massage, sur le contour du corps. Ce toucher modifie et intensifie la perception du corps. Et émerge, là aussi, souvent, pout le patient, une image, une sensation de soi dans son volume.
Il n’est pas rare que le patient prenne alors conscience, par exemple, qu’il « se voit » mince, alors qu’il « se sent » rond, ou bien qu’il s’interroge sur le sens de kilos supplémentaires qui l’enrobent.
Un autre exemple – l’empreinte :
Une proposition de travail dynamique et créatif qui consiste à dessiner le contour du patient allongé sur une grande feuille. Une fois relevé, le patient prend un temps pour regarder cette empreinte et partager ce qui se passe là pour lui. Par la suite, il est possible d’inviter le patient à « habiter » l’empreinte en y apportant dessin, images, collages, végétaux… qui expriment le soi à l’intérieur de l’enveloppe corporelle.
Ainsi, de l’image de soi dans le miroir à soi, il n’y a qu’un pas : la sensation !
Ne vous fiez pas toujours aux apparences, au delà de l’image de soi, il y a Soi ! Aller à sa rencontre est une belle aventure !
Joyeuses fêtes de fin d’année !
Pour aller plus loin :
A écouter :
France Culture – JJ Rousseau – Narcisse ou l’amant de lui-même
« Narcisse ou l’Amant de lui-même » est une pièce écrite par Jean-Jacques Rousseau dans sa jeunesse. Longtemps, il l’a tenue secrète : dans cette pièce il s’agit de lui-même. Mais alors, Rousseau serait-il l’amant de lui-même ? Pourquoi aimer quelqu’un d’autre quand on excelle à s’aimer soi-même ? https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/narcisse-mon-beau-narcisse-24-rousseau-amant-de-lui-meme
A lire :
Kafka – La métamorphose
https://www.babelio.com/livres/Kafka-La-metamorphose/721946
A voir :
Blanche neige – Extrait de la scène du miroir
https://youtu.be/eGEqMjQQZnM
Girl – Sur la transformation interne et externe de soi
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=263852.html
Suggestions :
A écouter :
Les chemins de la philosophie sur la psychiatrie
en 4 volets
En 1961, Foucault soutient sa thèse intitulée "Histoire de la folie". Objet de nombreuses critiques, elle n'est pas tant une histoire de la psychiatrie que celle des pratiques adoptées du Moyen Âge à Freud. Qu'est-ce qui a rendu possible la constitution de la folie comme objet de connaissance ? https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/lhistoire-de-la-folie-par-michel-foucault
A voir :
Les chatouilles
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=256702.html