Le silence est d’or …
… sauf s’il s’agit de se taire !
… par Appelfeld, Le Breton et Kierkegaard,
C’est au détour d’une panne d’inspiration que le thème de ce nouvel écrit m’est venu…
A ne pouvoir écrire, c’est le son qui a capté l’attention de mes rêveries : D’abord celui des oiseaux, puis du vent. Ensuite les échos du bruit de la vie transportés au travers des fenêtres ouvertes en cette saison printanière. Puis le souvenir de ce jour de panne d’électricité où il m’avait semblé que la maison était devenue un désert, mesurant ainsi le vrombissement manquant des machines en veille (box, télé, frigo, pendule…)… Enfin, le souvenir en pleine campagne et à mil lieu de tout être humain du silence que je qualifiais de « vrai » : celui de la nature…
Mais tout cela n’est pas un « vrai » silence… Le vrai est un son à zéro décibel qui n’existe pas en dehors des chambres acoustiques. On sait qu’en haut d’une montage, le souffle d’air imperceptible est d’au moins dix décibels.
Selon David Le Breton, Antropologue, dans « Du Silence » (Editions Métailié, 2015) et face au monde moderne plein de bruits et de paroles incessantes… «Le silence devient alors un vestige archéologique. Anachronique dans sa manifestation il produit le malaise, la tentative immédiate, bien connue à la télévision ou à la radio, de le juguler comme un intrus. Il souligne les efforts qui restent encore à fournir pour que l’homme accède enfin au stade glorieux de l’homo communicans. Simultanément pourtant le silence résonne comme une nostalgie, il appelle le désir d’une écoute sans hâte du bruissement du monde. L’ébriété de parole rend enviable le repos, la jouissance de penser enfin l’événement et d’en parler en prenant le temps dans le rythme d’une conversation qui avance à pas d’homme en s’arrêtant enfin sur le visage de l’autre. Mettre à distance le bruit, à la lettre comme au figuré, pour entendre à nouveau la voix d’un autre ou la rumeur du monde. Et le silence, de refoulé qu’il était prend alors une valeur infinie ».
Il semblerait alors que le silence relève d’une sensation subjective puisque notre ouïe est stimulée en permanence et que par ailleurs, même lorsque nous lisons dans notre tête, l’intensité des mots résonne en nous ! Et cela sans parler du corps qui est aussi bruyant qu’un hall de gare : gargouillis, respiration, battement du coeur…
Cette relation subjective au silence est un creuset d’observation de soi et de mise en conscience. Dans ce silence, il y a le monde symbolique d’une personne, son imaginaire, ses représentations parfois paisibles, voir orgonomiques, mais aussi inquiétantes, angoissantes, voire terrifiantes.
Marcel Proust dans « A la recherche du temps perdu » (du côté de chez Swann, Combray, Pléiade, 1954, p.37) écrit au sujet des sanglots qu’il eu enfant « la force de contenir devant mon père et qui n’éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman »…
: « En réalité ils (les sanglots ) n’ont jamais cessé : et c’est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches de couvents que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu’on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir ».
Si le silence et l’écoute des sensations du passé procurent à Prout un plaisir, elles plongent Aharon Appelfeld dans la guerre et son désarroi d’enfant.
Il écrit dans « Histoire d’une vie » (Editions de l’Olivier, 2004, p.147) : « Les années passées dans la forêt et chez les paysans m’obligèrent à me taire et à écouter… Durant la guerre, je fus obligé de cacher mon identité, la première règle étant le silence. A la place de la parole, je développai l’écoute et la contemplation ». Privé des siens, ramené à une solitude d’enfant sauvage préoccupé de sa survie, il se tait, soit qu’il se méfie de ses rencontres, soit qu’il se trouve écrasé par la peur, soit encore que ce silence lui procure la seule manière de retrouver ses temps heureux de l’avant guerre.
Mais tant Proust que Appelfeld ont en commun de s’abstraire du bruit ambiant, de plonger au plus profond d’eux-mêmes pour prêter attention au ténu des sensations dans ce silence fragile qui relie à l’univers du passé.
Le silence thérapeutique : de la dynamique transformationnelle à la révélation…
Le silence une ressource dans un processus thérapeutique.
Le silence en séance est un temps sans parole.
Il permet au patient d’accéder à son être profond, à ses rêveries, à son corps gardien de ce qui n’a pu être exprimé en son temps.
C’est un espace créateur et de développement du soi, car on sait l’importance de la rêverie dans le développement de l’enfant (Winnicott) : Ce besoin de pouvoir être avec soi, dans son monde, à côté de sa mère sans s’en préoccuper. C’est une expérience qu’il est possible de (re)vivre auprès du psychopraticien.
Ce silence de la parole, c’est aussi l’occasion de rentrer en contact avec son corps de sensations et de le laisser parler (comme le fait Proust) au travers d’images mais aussi de souvenirs ou de surgissements émotionnels.
C’est aussi l’occasion de retourner à un stade antérieur, celui du non-verbal.
Le silence et l’écoute de soi, de son silence intérieur, permet au patient de retrouver la mémoire du corps, ses besoins, son identité et son langage propre.
Le silence, ici, est un moyen de renouer avec soi-même.
C’est tout l’art du thérapeute, guide, que d’apprivoiser le silence, de ne pas en avoir peur. Et même de s’en servir dans la dynamique transformationnelle du processus thérapeutique.
Se taire, laisser la place. Habiter le silence. Encourager même son patient à entendre son silence, à se vivre dans le silence pour laisser émerger un autre monde et se donner accès à soi autrement que par la pensée.
Le thérapeute écoute le silence du patient bien sûr, peut être comme un indicateur de la capacité qu’a ce dernier de rentrer en contact avec ses émotions et sensations au-delà de la parole, mais aussi son propre silence. Celui du thérapeute qui n’a plus de mot pour dire, celui qui écoute les maux au delà des mots. Car une intervention thérapeutique peut être un silence. Ou bien le silence peut marquer un temps de pause qui permet au patient de prendre le temps d’assimiler, d’entendre ce qu’il vient de dire par exemple.
Dire et dénoncer : Sortir du silence
Il y a dans la vie des moments où le silence est imposé explicitement ou implicitement. Par le danger, la famille, l’environnement…
Comme chacun construit son psychisme, ses repères personnels, en interrelation avec ses divers proches, ce n’est donc pas le même discours, ou le même silence, qui est envoyé à chacun.
Les secrets, les non-dits transpirent par le biais d’attitudes étranges ou anxieuses des parents, de l’entourage, par des petites phrases équivoques, des mimiques, ou encore parfois par des voix qui s’altèrent dès qu’un mot, un nom rappelant le drame caché est prononcé. Tout cela représente autant de micro-comportements qui parlent à l’inconscient et indiquent qu’il y a du secret dans l’air… Mais aussi de la souffrance.
Aussi, face au silence, à l’omerta, le psychopraticien peut être amené à nommer la loi, les transgressions, mais surtout toujours à soutenir les patients dans l’expression leurs souffrances et surtout dans la révélation des évènements dont ils ont été victimes… L’espace thérapeutique est parfois le lieu où enfin une personne ose sortir du silence et parler.
Parler et dire les non-dits et les secrets de famille (c’est à dire out ce qui touche essentiellement la mort, les origines, la sexualité, la stérilité, le divorce, la maladie mentale, le handicap, les transgressions morales et/ou juridiques, les revers de fortune.)… Mais aussi nommer et révéler les violences intrafamiliales, les abus et l’inceste, (le « secret des secrets » selon Anne Ancelin Schützenberger).
Car bien souvent, une personne tait ce dont elle a honte. Or pour sortir de la honte il faut dire.
Alors entre silence et expression, c’est un subtil équilibre à trouver pour le patient comme pour le thérapeute. Mais ce qui est sûr c’est que l’expression s’ancre dans le silence, comme le dit Kierkegaard : la parole est « la catharsis du silence » .
« O esprit aimable, toi qui habites ces lieux, je te rends grâces d’environner toujours mon silence de ta paix ; je te rends grâces pour ces heures que j’ai passées ici, occupé de mes souvenirs ; je te rends grâces pour cette cachette que je nomme mienne ! Alors que grandi le calme comme grandissent l’ombre et le silence : formule magique d’exorcisme ! Quoi de plus enivrant que le calme : car, si rapidement que le buveur porte la coupe à ses lèvres, son ivresse ne croît pas aussi rapidement que celle du calme qui clôt à chaque seconde » (« Etapes sur le chemin de vie », Tel, Gallimard, 1979)
Pour aller plus loin :
A écouter…
Emission « Pas la peine de crier » par Marie Richeux – Silence(s) (1/5): Une anthropologie du silence, 22 avril 2013 – https://www.franceculture.fr/emissions/pas-la-peine-de-crier/silences-15-une-anthropologie-du-silence
Suggestions :
A voir…
Jusqu’au 28 août : Monde tsigane, la fabrique des images. Une histoire photographique de 1860 à 1980. http://www.histoire-immigration.fr/agenda/2018-01/mondes-tsiganes
A visionner :
Les routes de l’esclavage, Série de 4 documentaires sur Arte. Une autre piqure de rappel sur l’histoire et les raisons de l’esclavage… A voir ! https://www.arte.tv/fr/videos/RC-016061/les-routes-de-l-esclavage/
A lire …
Le lambeau de Philippe Lançon, Editions Gallimard, 2018 – Le Lambeau est le récit de sa vie avant, pendant et surtout après l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, attentat au cours duquel il a été grièvement blessé. http://www.gallimard.fr/Media/Gallimard/Entretien-ecrit/Entretien-Philippe-Lancon.-Le-lambeau/(source)/301988