Chemin d’émergence – Samedi 8 juinn2024 – Paris
Auteur : r.herzberg.psy@gmail.com
Réflexions psycho-cinématographiques…
C’est en lisant un article sur le cinéma que me sont venues ces réflexions…
Dans le réel (et nous le verrons pour la thérapie) en quoi l’image « mise en boite », et surtout la modification du support de l’image ces dernières années, entraine une modification du rapport à soi ?
Faisons un parallèle avec le cinéma pour comprendre l’hypothèse…
Comme le dit le cinéaste et essayiste Jean-Louis Comolli dans son ouvrage « Cinéma, numérique, survie : l’art du temps : « Pendant longtemps, le cinéma était fondé sur un principe très simple : le film était plus fort que le spectateur. Jusqu’à la fin des années 60, on ne pouvait ni le ralentir, ni l’accélérer, ni l’arrêter. Avec la vidéo s’est produit un renversement complet : le spectateur est devenu plus fort que le film. »
Aujourd’hui, que ce soit sur un écran de télévision, sur un ordinateur, sur une tablette ou un smartphone, le spectateur peut faire ce qu’il veut : Fragmenter un visionnage par exemple, ou multiplier un visionnage.
Dans les deux cas, le rapport au temps est modifié et il y a une prise de pouvoir sur le temps par le spectateur. Si l’on met cela en parallèle avec le cadre thérapeutique et le processus, cela pose question.
* Lorsque le spectateur fragmente un film, il fait entrer le temps ordinaire dans le temps du film.
C’est un peu comme un patient qui envoie à son thérapeute un sms (voire un mail) à n’importe quelle heure. Lorsqu’il fait cela, il fait entrer, pour le thérapeute qui reçoit le message, un temps thérapeutique dans un temps ordinaire, et pour lui qui l’envoie il fait entrer un temps thérapeutique dans son temps ordinaire. Sachant qu’avec un téléphone portable, le temps ordinaire est fragmenté des pulsions d’attention aux objets de la pensée qui peuvent émerger à n’importe quel moment, c’est inquiétant… car le « temps thérapeutique » s’insère alors au milieu d’une conversation de café, en famille, au travail, dans les transports … Il y a là (puisqu’il n’y a souvent plus d’isolement pour écrire, voire même téléphoner), effraction de l’ordinaire dans le symbolique de l’espace thérapeutique.
Par ailleurs, cette fragmentation qui fait un agir d’effraction, vient introduire du temps ordinaire dans le « temps de soi ». Car si le temps ordinaire est bien présent dans l’espace thérapeutique c’est pour introduire une périodicité et une durée de la rencontre avec soi. Le temps ordinaire est là au service du processus et non l’instrument d’une irruption du temps social dans le temps thérapeutique.
* Lorsqu’il repasse un film, le spectateur joue avec le temps ordinaire.
Cela peut être positif pour le spectateur de se repasser indéfiniment une même scène par exemple, par plaisir ou pour être certain d’avoir bien vu ou compris. Mais n’est-ce pas une manière pour le spectateur d’agir de telle manière qu’il fait entrer dans le champs ce qui est hors-champs?
Idem en thérapie : contacter son thérapeute à toute heure (par sms ou mail) et parfois plusieurs fois pour (re)confirmer un rendez-vous mal noté ou bien pour partager un évènement ou un sentiment n’est-ce pas faire entrer dans le cadre thérapeutique quelque chose de l’ordinaire ?
Or, ce hors-champs, nous le savons bien, c’est ce que nous appelons le symbolique. Et il est important qu’il n’y ai pas (ou très peu) effraction du réel dans l’univers symbolique du processus thérapeutique.
Autres parallèles entre le cinéma et le cabinet de psychothérapie :
* Un espace particulier…
La particularité du cinéma et de la salle obscure, c’est le noir dans la salle qui est essentiel pour « anéantir le monde connu au profit de celui du film » (L’important c’est l’écran de Michel Bezbakh- Télérama 3642). C’est cette obscurité qui facilite la possibilité de s’identifier… C’est bien au fond de cette salle obscure qu’un homme peut, par exemple, s’identifier à Ava Gardner, ou tomber amoureux de Robert Redford. C’est le dispositif cinématographique de la salle obscure qui permet cette liberté là.
Comme dans l’espace thérapeutique ! C’est un espace particulier où la présence du thérapeute au service du processus favorise l’émergence des projections, des représentations et des images du patients, donc de son monde symbolique. C’est grâce à cet espace particulier que se déploie l’inconscient du patient dont le thérapeute est à la fois « le spectateur » et « l’écran ».
* …Hors du « monde » …
Mais quel intérêt pour un spectateur de choisir de se contraindre à s’enfermer dans le noir pendant plusieurs heures ? C’est peut-être parce qu’il gagne en liberté au travers des identifications que lui offrent les personnages des films. Il gagne en liberté car il se coupe de l’ordinaire et de la fragmentation du temps pour s’enfermer dans un autre lieu, couper son portable, se priver de l’odorat, du toucher… Ainsi, on le voit bien, il quitte une liberté pour en gagner une autre. Dans la renonciation à bouger, en s’enfermant assis dans une salle obscure, le spectateur gagne en mobilité identificatoire, il s’ouvre à un autre monde.
De la même manière, la contrainte du cadre thérapeutique qui consiste à s’enfermer pendant une heure dans un cabinet, fait gagner en liberté, tant en liberté interne – dans ce regard, cette écoute intérieure qui se développe au fil des séances – qu’en «mobilité identificatoire» – au travers du transfert. Et donc en capacité transformationnelle. Le renoncement à la mobilité physique ouvre en quelque sort une mobilité psychique.
A cet endroit là, la contrainte est créatrice.
* …Où la personne est mise dans une situation inhabituelle.
Au cinéma, l’écran est grand ce qui rend le spectateur «petit». Ainsi, il se retrouve à une place d’enfant joueur et y retrouve cette liberté et capacité créative. Il en va de même dans l’espace thérapeutique, où le patient se trouve dans une relation par nature dissymétrique qui favorise le transfert et la régression et donc l’ouverture vers son enfant intérieur et son monde symbolique.
On le voit, il y a parfois beaucoup à gagner au choix de la « libre contrainte » – car la contrainte choisie peut être un chemin de liberté.
De même « Se faire un film », « se raconter des histoires », c’est jouer avec soi et c’est là que la transformation s’immisce…
Pour cette fin d’année je vous souhaite donc de vous faire une film, une toile, un cinoche… vivre vos rêves ou rêver votre vie !
Pour aller plus loin :
A lire :
Cinéma, numérique, survie : L’art du temps de Jean-Louis Comilli, ENS éditions, 2019 – http://catalogue-editions.ens-lyon.fr/fr/livre/?GCOI=29021100248540
Le livre de mes rêves de Fellini – Flammarion 2010 – « De 1960 aux années 1990, Fellini a transcrit et illustré ses rêves : scènes érotiques, de la vie quotidienne, relatives au cinéma, etc. Reproduction du manuscrit original des séquences illustrées par le cinéaste qui fut dans sa jeunesse dessinateur pour un hebdomadaire humoristique. » (Livres et cinéma) – https://www.livres-cinema.info/livre/1296/livre-de-mes-reves
A écouter :
Cinéma et médecine (4/5) : La folie dans tous ses états – France culture – Matière à penser – « Rencontre autour du film « Vol au-dessus d’un nid de coucou » (1976) pour aborder la question de la santé mentale et de sa prise en charge avec Jean-Pierre Olié, chef de service de psychiatrie à l’hôpital et professeur à l’Université Paris-Descartes, et Pierre Murat, journaliste et critique de cinéma. » (France Culture – https://www.franceculture.fr/emissions/matieres-a-penser/cinema-et-medecine-45-la-folie-dans-tous-ses-etats
Sur l’écran noir de mes nuits blanches – Chanson écrite et interprétée par Claude Nougaro – https://www.dailymotion.com/video/x4vrd9
A voir :
Culture pop et psy – Le trouble bipolaire : Mariah Carey et sa “Happiness therapy” – Le 18 janvier 2020 – Mk2 Beaubourg – Paris – Cycle de films-conférence présentés par le Dr Jean-Victor Blanc, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP), spécialiste des addictions de la génération millennials et des patients atteints de troubles bipolaires. – “Ce cycle de conférences propose, à partir de références à la culture pop, de donner des clés de compréhension sur les grands enjeux de la psychiatrie moderne. En convoquant Miloš Forman, Britney Spears et Amy Winehouse, le Dr Jean-Victor Blanc, psychiatre, propose un éclairage ludique et scientifique sur la santé mentale. Il fait le pari qu’en faisant mieux connaître les troubles psychiques, la discrimination des personnes atteintes pourra diminuer.” (MK2) – https://www.mk2.com/evenements/culture-pop-psychiatrie
Bien-être et psychologie positive…
Réflexions sur « l’Happycratie », l’injonction au Bien-être et la psychologie positive…
Vu par E. Illouz, C. Marin et les autres
En ce début d’été tous les magazines regorgent d’injonctions au bonheur. De Psychologie Magazine à Bien-Etre, Mieux-Etre, Happinez, Kaizen, jusqu’à Open mind… Et c’est sans parler des journaux hebdomadaires ou quotidiens… avec des unes aguichantes : « Comment vivre une vie plus simple ? », « 5 clés pour arrêter de s’autosaboter », « Vivre en pleine conscience », « Il est temps d’aimer être soi ! », « Etre l’autre de sa vie »…
Soyez l’acteur de votre vie et positivez toute expérience de vie !… c’est les maîtres mots de la psychologie positive dont le créateur est Martin Seligman.
Créée en 1988 aux USA, la psychologie positive s’intéresse surtout à la santé et au bien-être, à ce qui rend les humains résilients, heureux, optimistes, plutôt qu’aux sources des psychopathologies. L’hypothèse de la psychologie positive est qu’en étudiant pourquoi et comment certains animaux et certaines personnes surmontent mieux que d’autres les difficultés de la vie, il sera possible de trouver des moyens de développer ces qualités chez tout un chacun. Son objectif est de promouvoir l’épanouissement et l’accomplissement de soi, au niveau individuel, groupal et social. C’est l’étude des forces, du fonctionnement optimal et des déterminants du bien-être.
Ce domaine de la psychologie s’inscrit ainsi dans la tradition de la psychologie expérimentale dont elle utilise les méthodes, basées sur la validation d’hypothèses, et elle se rapproche dans ses concepts de la psychologie humaniste (dont elle diffère surtout par ses méthodes). La psychologie positive a rapidement connu un franc succès auprès du grand public. Elle offre de nombreuses pistes de développement de soi sur des thèmes universels (joie de vivre, succès, etc.).
Deux bémols, notamment, à ces affirmations :
C’est une approche qui utilise des méthodes basées sur la validations d’hypothèses – l’expérimentation montre que ça a marché, donc ça va marcher. C’est l’injonction.
La psychologie positive flirt avec les concepts et méthodes d’autres disciplines de la psychologie, des neurosciences et des sciences humaines, ainsi que des méthodes de psychothérapie humaniste. Ce faisant, elle génère un floue entre développement personnel et thérapie en usant notamment d’une sémantique similaire qui trouble l’esprit non averti. C’est la confusion.
La psychologie positive est puissante, car elle semble guider sans donner de normes et sans morale.
Eva Illouz, sociologue, dans son dernier ouvrage Happycratie (Eva Illouz, Edgar Cabanas, Happycratie : Comment l’industrie du bonheur à pris le contrôle de nos vies ?, 2018, Editions Premier Parallèle) décrit la psychologie positive comme suit : Le bonheur se construirait, s’enseignerait et s’apprendrait. Il suffirait d’écouter les experts pour devenir heureux. Pour elle, l’industrie du bonheur, qui brasse des millions d’euros, affirme ainsi pouvoir façonner les individus en créatures capables de faire obstruction aux sentiments négatifs, de tirer le meilleur parti d’elles-mêmes en contrôlant totalement leurs désirs improductifs et leurs pensées défaitistes.
Ainsi toute expérience est l’occasion de renforcer sa structure psychique et tout sentiment négatif est transformé en pathologie. De cette manière la colère, la déprime, par exemple, deviennent une honte… C’est, pour Eva Illouz, la privation organisée de la souffrance sociale.
Et cela a deux incidences graves :
La première, c’est que chacun est responsable de son malheur comme de son bonheur.
La seconde, c’est que dans cette quête au bonheur, on ne réfléchis plus aux conditions sociales de son malheur. Cela sous entend que les êtres sont seuls face à eux-mêmes et ne doivent demander de compte qu’à eux-mêmes, d’une part, et que l’individu est un capital qu’il doit faire fructifier d’autre part.
Elle analyse comment après les années 70 et la saturation du marché des produits manufacturés, une nouvelle production de marchandises a été créée : Les marchandises émotionnelles (les ambiances, les petits cadeaux émotionnels et le développement personnel). C’est une sorte de privatisation du bonheur qui est poursuivit seul et non dans la collectivité.
C’est en résumé, une idée du bonheur qui est mis au service du pouvoir et qui anesthésie la souffrance sociale.
C’est le second bémol : Le déni de la souffrance.
S’il s’agit d’étouffer la souffrance sociale, quid de la souffrance des êtres ?
Claire Marin en parle bien dans son livre Ruptures (Claire Marin, Ruptures, 2019, Editions de l’Observatoire) : L’injonction à positiver va jusqu’à positiver la rupture, car celle-ci serait signe de renouveau. Or, d’abord, elle ose dire que cela fait mal, et que cela laisse une place à la violence du manque, « à cette mécanique implacable, qui dit en creux combien le sujet se construit dans la relation, dans l’échange, dans l’amour ». Et que même une rupture voulue est rarement indolore. Puis elle prévient d’emblée, «je résisterai […] à la tentation de l’optimisme», «la rupture n’est parfois qu’un gâchis, un manque de courage, une pure lâcheté, un renoncement». Et tant qu’à faire, explique-t-elle, « l’histoire bégaie, les fêlures intimes, infantiles se réouvrent, les échecs se répètent, les ruptures viennent en cascade ».
Dans cette vision, il y a soi, l’autre et le monde. Il n’y a pas que le présent, mais il y a aussi la dimension temporelle. Et de décrire que la rupture est souffrance et ce que cela fait émerger en soi des émotions à vivre et enfin que c’est une expérience qui transforme…
L’Analyse Psycho-Organique accueille les souffrances et soutient, comme d’autres psychothérapies, le désir de transformation des patients.
D’abord, ce qui arrive dans un cabinet de psychothérapie, c’est la souffrance. C’est mues par cette souffrance, ce malaise, une anxiété, des répétitions gênantes, des obstacles… que les personnes sonnent à notre porte. Et ils disent et posent cette souffrance qui peut être une souffrance interne, personnelle, mais aussi relationnelle voire sociale et/ou professionnelle… peut être tout à la fois.
Et avant tout, il y a l’accueil et l’écoute.
Puis de la souffrance, de la difficulté émerge une parole… qu’est ce que le patient demande pour lui-même dans son désir d’entreprendre un processus thérapeutique ?
C’est alors, dans la formulation de leurs demandes, qu’émerge le désir de transformation.
La transformation souhaitée, évoquée par les patients, n’est pas mue par un positivisme aveugle.
Elle est sous tendue d’une croyance en un mouvement interne qui tend l’être vers la réalisation de son « non-réalisé » (besoins, désirs…), vers la résolution totale ou partielle de ses blessures et qui se niche souvent en creux, dans le manque et la souffrance.
Ici, il s’agit d’aider un être à devenir l’être unique et singulier qu’il est.
Il ne s’agit pas de soutenir un individualisme auto-centré où pulsion (avoir) et désir (éprouver) sont confondus et où tout se vaut. Comme le précise Denis Marquet (Denis Marquet, Conférence mai 2019, Université de Printemps de l’EFAPO) : « Le désir veut le nouveau, la pulsion veut toujours plus de la même chose ».
La transformation c’est le mouvement. Le mouvement, c’est la vie. La vie, c’est éprouver. Et la manière dont on éprouve le monde, dont on fait l’expérience du monde, est propre à chacun.
Il ne s’agit pas, pour l’analyste Psycho-Organique, de conseiller, ni de fournir des modes d’emplois. Encore moins de fournir un modèle prêt-à-porter de l’être humain. Il ne s’agit pas de rendre un être « fonctionnel » au sens d’avoir un comportement attendu par les normes sociales, ni à contrario de soutenir l’anormalité et la rébellion. Il s’agit d’être au plus près de l’être dans son entier, de soutenir l’émergence de l’être profond et le processus d’appropriation de soi. Ce soi étant toujours vu en relation à l’autre et au monde. Soi, son intériorité qui ne peut être sans l’autre (l’autre et la relation intersubjective), le monde (le groupe, la collectivité, la société).
Alors, bonheur et bien-être ? Oui… Mais plutôt que de répondre à un modèle positiviste normatif, ne serait-ce pas plutôt, comme le propose Allan W. Watts dans Eloge de l’insécurité (2003, Editions Payot et Rivages) un état de conscience : Un état « d’être conscient de ses pensées, ses sentiments, sensations, désirs ou toute autre forme d’expérience » ?
Bel été à tous !
Avenir…
Réflexion sur l’avenir…
Vu par la nature…
Nous sommes dans un temps du monde particulier.
Un message contradictoire nous est adressé en permanence…
Comment rester du côté de la vie lorsque le monde renvoie à quelque chose de pervers et de morbide. Car c’est bien de cela qu’il s’agit lorsque les messages envoyés sont paradoxaux :
Acheter des voitures (diesel notamment), mais taxons l’essence
Mangez bio, mais soutenons l’agriculture intensive
Signons les accords de Paris, mais refusons d’interdir le Glyphosathe
Réformons le droit du travail mais pas le droit du capital
Manifestez, mais en silence…
Tant d’injonctions paradoxales qui rendent fou…
Tant de projections d’avenir apocalyptique… les plus optimistes affirmant que nous « pouvons encore sauver la planète ».
En relisant Sapiens, une brève histoire de l’humanité, de Y. N. Harari, on retrouve cette question du dualité en écho : « Depuis la révolution cognitive, les Sapiens ont donc vécu dans une double réalité. D’un côté, la réalité objective des rivières des arbres et des lions ; de l’autre, la réalité imaginaire des dieux, des nations et des société. Au fil du temps, la réalité imaginaire est devenue toujours plus puissante, au point que de nos jours la survie même des rivières, des arbres et des lions dépend de la grâce des entités imaginaires comme le Dieu Tout-Puissant, les Etats-Unis ou Google. »
Deux mots m’interpellent : Toute-Puissance et Imaginaire… Cela ouvre un autre thème, mais qu’il est important de nommer ici dores et déjà.
Le monde actuel nous renvoie donc notamment :
Au changement (climatique),
Au dérèglement (chaos),
A la mort (fin du monde, d’un monde, d’un système),
Il re-questionne nos manières de vivre.
Il n’est alors pas surprenant d’en avoir un écho dans nos cabinets, et notamment chez les jeunes adultes.
Une patiente arrive en séance, elle s’installe, lentement, lourdement. Elle a les yeux bouffis. Elle a peine à parler. Dans l’émotion qu’elle exprime j’entends ses mots qui me disent son effroi depuis 15 jours que je ne l’ai vu suite au visionnage d’un documentaire sur la disparition des insectes…
Une autre s’interroge sur le sens du monde et de sa vie : Elle voudrait travailler dans « l’équitable » ou la permaculture et pourtant elle vit en ville et travaille dans une grande entreprise de presse. Elle ne se sent pas raccord avec elle dans cette vie là, se sentant dans une impasse.
Un jeune homme, militant depuis ses études, vit en collectivité, s’engage dans l’éducation populaire et la médiation sociale car il défend l’idée d’un travail différent, loin du monde des entreprises, il s’interroge sur une installation collective et collaborative en campagne. Projet d’une vie en auto-suffisance, solidaire, écologique. Il interroge le sens du travail.
Cet autre patient altermondialiste qui évoque souvent les sujets politiques et sociaux qui le mobilisent et mettent en exergue les absurdités de la société actuelle. Et qui ne veut pas d’enfant, car il n’y a pas d’avenir pour eux.
Celle-ci, enfin, qui travaille avec les migrants et les détenus… s’effondre devant l’énormité de la tache et l’absurdité institutionnelle. Prône une vie écologique, collective et militante…
Quel avenir à proposer à nos jeunes ?
Que répondre à leurs questionnements sur le futur ?
Quel sens donner à la vie lorsque ce qui semble s’annoncer c’est la fin du monde ? De quel monde s’agit-il d’ailleurs ?
De quoi parlons-nous ?
Parlons-nous de l’effondrement du système capitaliste ?
S’agit-il de défis démographiques, économiques et sociaux à relever ?
Ou encore de l’avenir écologique, climatique de la planète ?
Il semble que cela concerne à la fois l’écologie, mais aussi la politique. Il s’agit de quelque chose de personnel et de collectif. De soi, des autres, du sens de la vie…
Comment en tant que thérapeute accompagner ces êtres, et ils sont de plus en plus nombreux, ébranlés par l’avenir de notre Terre, les dysfonctionnements écologiques, climatiques, sociaux, politiques, …. Car parfois, il n’est pas si facile, même à soi-même de se dire : « Cool, tout va bien. Tout va bien se passer, l’avenir radieux est devant nous ! »…
Nous qui pour bon nombre d’entre nous n’avons pas connu la guerre, l’exile forcé, la misère alimentaire, et où la pauvreté fut « relative » comparée à la famine… nous, qui sommes nés pendant les 30 glorieuses et avons commencé notre vie d’adulte avec les crises économiques (pétrolières et financières)… nous, qui avons découvert il y a peu de temps les nouvelles formes de guerres terroristes (après les guerres militaires, les guérillas et attentats de groupes politiques) … et qui pour la première fois depuis 70 ans n’avons pas à offrir du mieux à nos enfants, mais du pire
Oui, nous les adultes, les anciens ! Nous les thérapeutes d’aujourd’hui, qui sommes nous-mêmes ébranlés par ses questionnements et ces problématiques… comment pouvons-nous, devons-nous, intervenir auprès de nos patients ?
Il n’y a bien sûr aucun mode d’emploi, cependant l’Analyse Psycho-Organique offre, notamment, trois axes d’intervention :
Thématiser – Du concept au besoin.
Lorsque cette patiente est arrivée, effondrée de la disparition des insectes, je me suis demandée de quoi ça parlait. J’ai tenté de thématiser, méta conceptualiser en quelque sorte, ce que ma patiente évoquait. C’est ainsi qu’au fur et à mesure de la séance, et après avoir accueilli son émotion, je l’ai accompagnée pour approfondir et thématiser de quoi cette disparition des insectes parlait. C’est alors que le thème est apparu : Celui de la finitude. La fin. La fin de la vie. Du monde. La mort.
Il lui a été alors possible d’explorer son rapport à la finitude, à la mort.
Thématiser, c’est passer d’une micro perception/représentation à une macro perception/représentation : C’est permettre au patient de se saisir du sujet apparent dans l’instant (la perte des insectes) et « jouer avec » / explorer le sujet, pour aller au-delà de ce qui est apparent, le thème sous-jacent.
Sensologie (sens de la vie) – Exploration de la sensation et du sentiment
Qu’est-ce que je ressens ? Qui je suis (moi qui fait l’expérience du monde de cette manière là) ? Comment j’habite ce monde
Face au dérèglement climatique, à la dérégulation, à cette sensation de chaos et de fin du monde, le sentiment d’une perte de sens crée souvent un désespoir, voir un effondrement chez les patients. Une sensation de vide. Un sentiment d’absurde et qu’il y a quelque chose de vain. Un sentiment d’impuissance.
Cette perte de sens relève du rapport de soi au monde, et de comment cela résonne en soi.
L’approche philosophique de l’être faite en Analyse Psycho-Organique, laisse la place à l’expression du sentiment et de la sensation, ce qui permet alors au patient d’explorer ses besoins et son identité. Il est en effet possible pour le patient de (re)trouver un sens à sa vie (par ses actions, ses choix…) lorsqu’il est en contact avec sa profondeur organique.
Pour cela le thérapeute soutient le patient dans son attention à ce qui se passe en lui et le guide pour partir du sentiment ou de la sensation vers le ressenti du besoin. Et du besoin à « Qui je suis? » et ensuite à « Comment j’habite le monde, moi, avec ce thème là? » qui mène au troisième axe : L’action.
Action – Expression / Incarnation
ou comment agir pour habiter un monde qui me convienne ?
On l’a vu, l’Analyse Psycho-Organique relie le sens que l’on donne à l’expérience vécue et la manière dont on la ressent. Elle met ainsi l’accent sur « le choix d’expérience ». Ce qui veut dire que l’on considère que chacun est responsable de ses choix (choix d’expérience) et peut devenir acteur de sa vie, porteur de ses propres valeurs.
L’ouverture au monde symbolique (à tous les possibles) favorisée par l’accès à sa profondeur organique, permet au patient de se faire une représentation de ce monde, et de comment agir pour y accéder.
Il a alors la possibilité de sentir son désir et sa capacité créative, celle de faire : c’est à dire d’explorer comment il souhaite s’incarner dans ce monde-ci. Identifier ses valeurs et forger ses actions font parti de ce travail qui permet alors au patient de faire une expérience du monde qui émane de son « noyaux sain », dans un mouvement de vie qui peut s’incarner dans son action.
Vive le renouveau ! Joyeux printemps !
Pour aller plus loin :
Ecouter :
Matière à penser – Série de 5 émissions « Mauvais départ pour le siècle, comment préparer l’avenir ? » https://www.franceculture.fr/emissions/matieres-a-penser/mauvais-depart-pour-le-siecle-comment-preparer-lavenir-15-lirruption-de-lanthropocene
Tout un monde. « Décroitre et multiplier : l’internationale de la décroissance ». https://www.franceculture.fr/emissions/tout-un-monde/decroitre-et-demultiplier-l-internationale-de-la-decroissance
Dimanche et après ? Peut-on reconquérir nos insectes ?https://www.franceculture.fr/emissions/dimanche-et-apres/dimanche-et-apres-du-dimanche-17-fevrier-2019?xtor=EPR-3
Lire :
Article de Libération – Interview de Dennis Meadows – 15 juin 2012 https://www.liberation.fr/futurs/2012/06/15/le-scenario-de-l-effondrement-l-emporte_826664
Aarto pasalina – Prisonniers du paradis (Gallimard 1998)
https://www.babelio.com/livres/Paasilinna-Prisonniers-du-paradis/2992
Un livre drôle, à découvrir pour ceux qui ne connaissent pas ce merveilleux auteur !
Résumé:
Un avion qui fait un amerrissage forcé avec à son bord des sages-femmes et des bûcherons. Voici les naufragés qui s’organisent, chacun retrouvant vite ses habitudes. Une plage de sable blanc bordée de cocotiers et où finalement, entre chasse, pêche et culture, la vie ne va pas être désagréable du tout. Au point que certains n’auront aucune envie de retrouver la « civilisation » quand un navire américain s’approche et que son commandant veut évacuer les joyeux naufragés. Des problèmes aigus vont alors se poser et il faudra tout l’humour de Paasilinna pour tenter de les résoudre.
Film :
In my room de Ulrich Kôhler http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=250228.html
Résumé :
Armin vogue d’échecs professionnels en déceptions sentimentales. Il n’est pas vraiment heureux, mais ne peut pas s’imaginer vivre autrement. Un matin il se réveille : si le monde semble inchangé, tous les êtres humains se sont volatilisés. Robinson Crusoé des temps modernes, Armin prend alors un nouveau départ. Cette liberté totale lui donne des ailes, mais tout ne se passe pas comme prévu…
Soi et image de soi
Réflexion sur le soi et image de soi
Vu par Ovide, Kafka, Dolto, Disney et les autres…
J’observe du coin de l’oeil les adolescents, qui a l’âge de la puberté, passent leur temps à se regarder : Toute surface réfléchissante sert de miroir à ce corps en transformation, sert aussi de support d’appropriation de cette image mouvante…
S’intéresser au soi et l’image de soi, c’est se questionner sur :
ce que l’on voit dans le miroir,
ce que l’on montre, ou que l’on travesti,
ce que l’on vit, ressent, en soi.
Thanksgiving, Blackfriday, Noël, Hanouka, et soldes en tout genre, …
Les magasins s’emplissent de strass et de nourritures… Nous proposent mil objets, vêtements, aliments pour satisfaire notre idée de la fête..
Tout pousse à consommer comme si Avoir c’était Etre, comme si se parer de paillettes c’était montrer sa joie, comme si se goinfrer s’était se sentir repu…
Sans remettre en question la nécessite de la convivialité, de la fête et du rituel, il est aussi une autre manière de voir ce temps-là, qui, dans l’obscurité du solstice d’hiver, nous propose de nous parer de lumières.
« Miroir mon beau miroir qui est la plus belle ? »
Du mythe de Narcisse à l’origine d’un concept définit par la psychanalyse…
Narcissice est un jeune homme de la mythologie grecque, doué d’une grande beauté. Dans Les Métamorphoses d’Ovide, il est le fils du dieu-fleuve Céphise et de la nymphe Liriopé. À sa naissance, sa mère apprit de Tirésias qu’il vivrait longtemps, pourvu qu’il ne vît jamais son propre visage. Cependant, arrivé à l’âge adulte, il s’attira la colère des dieux en repoussant l’amour de la nymphe Écho. Poussé par la soif, Narcisse surprit son reflet dans l’eau d’une source et en tomba amoureux ; il se laissa mourir de langueur ; la fleur qui poussa sur le lieu de sa mort porte son nom.
Selon une autre version rapportée par Pausanias, c’est pour se consoler de la mort de sa sœur jumelle, qu’il adorait et qui était faite exactement à son image, que Narcisse passait son temps à se contempler dans l’eau de la source, son propre visage lui rappelant les traits de sa sœur. (encyclopaedia universalis).
Pour Rousseau, c’est dans cette farce intitulée « Narcisse ou l’amant de lui-même » qu’il raconte l’histoire d’un jeune homme qui tombe amoureux de lui-même travesti en femme.
C’est en écho à ce mythe que Freud a, le premier, élaboré le concept de narcissisme qui est définit en psychanalyse comme une «étape du développement de la libido au cours de la formation du moi conçu comme objet d’amour », un investissement de soi sur soi en quelque sorte.
Le terme est aussi utilisé au sens psychologique courant d’une estime de soi ou d’une confiance en soi. Ainsi nos patients parlent, ou montrent d’eux, d’un manque de confiance en soi, du mauvaise estime de soi. Ce narcissisme peut parfois se révélé de manière excessive, on le nomme alors égocentrisme ou égoïsme. Certains aspects du narcissisme sont considérés comme des troubles en psychopathologie et figurent dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5).
Le stade dit « du miroir » …
Le stade du miroir est un stade dans le développement psychologique où l’usage du miroir amène l’enfant à prendre conscience de son corps et à le distinguer des autres corps. Parmi les psychiatres et psychanalystes à étudier ce phénomène, il y Jacques Lacan, Donald Winnicott et Françoise Dolto. C’est eux qui introduisent ce stade dans la théorie psychanalytique, chacun avec ses apports et subtilités. Tous évoquent cette construction du soi, nommé aussi narcissisme. Et tous montrent que c’est construction est liée au regard, et à la relation, donc à la présence d’un autre être.
C’est notamment dans le regard de l’Autre qu’un être se construit. Ce regard qui s’arrête apparement à ce qui est apparent de soi. Mais pas seulement puisqu’il semble que le regard de l’autre pénètre en soi, et est constitutif du soi.
Que se passe t-il si le regard n’a pas été assez nourrissant ? Et si la vie met à mal ce reflet de soi-même ?
Ce que l’on montre, ou que l’on travesti
Ce qui est vu, c’est son apparence.
Ce que l’on montre de soi est autre chose.
Qui n’a pas senti un jour, la distorsion entre son apparence extérieure et son état intérieur ?
Qui n’a pas joué avec son image : joué, enfant, à se déguiser ; joué adulte à faire le fort ou la belle, à se camoufler derrière du maquillage, un sourire ou une attitude désinvolte voire indifférente, cynique ou encore relativiste.
Se taire, se cacher… des autres et de soi-même…
Se trouver des aménagements pour se sentir bien en trouvant une image satisfaisante de soi dans le miroir et dans le regard des autres.
Certains sont mal à l’aise avec leurs images, d’autres avec leurs perceptions. Tous expriment un désaccord, une dysharmonie, comme si la sensation de soi et l’image de soi n’avaient pu s’étayer dans un environnement suffisamment bon et nourrissant pour se rassembler dans un axe image-perception qui soit cohérent.
Pour illustrer cela, intéressons-nous aux personnes qui souffrent de phobies, de compulsions alimentaires ou d’achats par exemple, car elles sont en prise avec ces distorsions.
Je pense à cette patiente qui traverse une crise de vie importante : elle a pris 20kg et se ruine en achats compulsifs de maquillage. Elle est « mal dans sa peau » et, dans un premier temps cela s’est manifesté autour de l’image de soi. Manger et se maquiller sans cesse.
Je pense à cet autre patient qui se bourre de médicaments pour cacher sa claustrophobie et faire semblant d’être tout à fait à l’aise dans les salles de réunions sans fenêtres ou dans l’ascenseur.
Plus troublant encore, cet être qui change de sexe pour adapter « l’extérieur » à son sentiment intérieur. Cette femme transgenre qui me racontait quasi blasée la soirée de la veille où elle s’était faite casser la gueule (encore une fois) par des hommes qui ne supportent pas « la trahison » que cette femme représente aujourd’hui à leurs yeux. Elle ne mesurait pas comment son apparente indifférence cachait son désarroi et sa solitude.
Comme dans ce magnifique récent film Girl, où, bien qu’étant totalement accueillie dans sa transformation (par sa famille, l’école de danse…), l’héroïne traverse une profonde dépression (reflet de la distorsions entre l’image externe et la perception interne de soi).
Qu’est-ce qui est montré, qu’est-ce qui est travesti et pourquoi ? Comment articuler ces distorsions de perceptions : Images et sensations de soi ?
Comme si la solution, le support, le secours venait de l’extérieur… dans le regard de « maman ». « Miroir mon beau miroir… qui est la plus belle ? »
La métamorphose : La sensation de soi
Kafka dans la Métamorphose nous offre une excellente métaphore de la transformation externe en regard de la transformation interne. Le merveilleux du livre consiste, notamment, en cette description précise de l’état interne de ce personnage en transformation, de l’incidence que cela a sur sa perception de lui même et des autres à son égard.
Comme le dit Françoise Dolto, nous avons une image inconsciente du corps qui est la représentation que chacun se fait de son propre corps.
Cette représentation se construit à partir de souvenirs, d’émotions et donc de sensations. Elle est propre à l’histoire personnelle de chacun et peut évoluer au fil du temps. Elle est la mémoire des relations vécues avec les autres et se structure par la relation à l’autre. En ce sens, elle est le support du narcissisme.
Parallèlement, la notion d’image du corps est à distinguer de l’idée de schéma corporel de l’enfant. Le schéma corporel désigne le corps réel, celui dont s’occupe la médecine. Il est, en principe, le même pour tous les individus. Il se structure par l’apprentissage et l’expérience. Il évolue dans le temps et l’espace. Il peut être tout à fait indépendant de l’image du corps, mais tous deux se modèlent progressivement au fur et à mesure de la vie.
Chacun de nous a donc une image inconsciente de son corps qui s’est construite au fil du temps et en fonction de son environnement psycho-affectif, et qui peut être tout à fait différente de l’apparence extérieure. Il y a une différence entre l’image de soi dans le miroir, la représentation que l’on s’en fait lorsque l’on a les yeux fermés, et la sensation de soi.
Ressenti et appropriation de soi : L’identité organique en Analyse Psycho-Organique
Comment retrouver et/ou intégrer en soi une image de soi en cohérence avec son ressenti ?
C’est ce que propose l’Analyse Psycho-Organique au travers de différents dispositifs qui soutiennent le patient vers l’accès à son corps et son image en partant de sa perception dans le présent, en résonance avec la perception passée, dans un va-et-vient entre sensations et images.
Un exemple parmi d’autres – le contour et l’enveloppe : Lorsque cela apparait opportun pour le processus, le thérapeute peut proposer au patient une relaxation guidée qui lui permette de se centrer sur ses sensations et sa respiration puis le contour de son corps. Il s’agit de l’inviter à sentir son enveloppe-peau (cf. Le Moi-Peau de Didier Anzieu). Il est intéressant d’observer que parfois la personne n’est pas toujours en mesure de sentir son enveloppe, ou qu’elle peut la sentir avec des zones floues, voire absentes. Au travers de ce dispositif, c’est déjà tout un monde qui s’ouvre entre la sensation de soi et l’image de soi. Il est possible alors, par exemple, d’ajouter une dimension à la perception de soi et son corps en proposant au patient un « packing » : toucher en posant les mains, de manière contenante, sans massage, sur le contour du corps. Ce toucher modifie et intensifie la perception du corps. Et émerge, là aussi, souvent, pout le patient, une image, une sensation de soi dans son volume.
Il n’est pas rare que le patient prenne alors conscience, par exemple, qu’il « se voit » mince, alors qu’il « se sent » rond, ou bien qu’il s’interroge sur le sens de kilos supplémentaires qui l’enrobent.
Un autre exemple – l’empreinte :
Une proposition de travail dynamique et créatif qui consiste à dessiner le contour du patient allongé sur une grande feuille. Une fois relevé, le patient prend un temps pour regarder cette empreinte et partager ce qui se passe là pour lui. Par la suite, il est possible d’inviter le patient à « habiter » l’empreinte en y apportant dessin, images, collages, végétaux… qui expriment le soi à l’intérieur de l’enveloppe corporelle.
Ainsi, de l’image de soi dans le miroir à soi, il n’y a qu’un pas : la sensation !
Ne vous fiez pas toujours aux apparences, au delà de l’image de soi, il y a Soi ! Aller à sa rencontre est une belle aventure !
Joyeuses fêtes de fin d’année !
Pour aller plus loin :
A écouter :
France Culture – JJ Rousseau – Narcisse ou l’amant de lui-même
« Narcisse ou l’Amant de lui-même » est une pièce écrite par Jean-Jacques Rousseau dans sa jeunesse. Longtemps, il l’a tenue secrète : dans cette pièce il s’agit de lui-même. Mais alors, Rousseau serait-il l’amant de lui-même ? Pourquoi aimer quelqu’un d’autre quand on excelle à s’aimer soi-même ? https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/narcisse-mon-beau-narcisse-24-rousseau-amant-de-lui-meme
A lire :
Kafka – La métamorphose
https://www.babelio.com/livres/Kafka-La-metamorphose/721946
A voir :
Blanche neige – Extrait de la scène du miroir
https://youtu.be/eGEqMjQQZnM
Girl – Sur la transformation interne et externe de soi
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=263852.html
Suggestions :
A écouter :
Les chemins de la philosophie sur la psychiatrie
en 4 volets
En 1961, Foucault soutient sa thèse intitulée "Histoire de la folie". Objet de nombreuses critiques, elle n'est pas tant une histoire de la psychiatrie que celle des pratiques adoptées du Moyen Âge à Freud. Qu'est-ce qui a rendu possible la constitution de la folie comme objet de connaissance ? https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/lhistoire-de-la-folie-par-michel-foucault
A voir :
Les chatouilles
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=256702.html
Précarité
De la précarité à une sécurité existentielle …
Vu par certains mythes et Charlie Chaplin
Partage d’expérience : Au boulot !…
Faire l’expérience de la reprise du travail en institution.
Cela commence par du temps dans les transports… traverser des banlieues inconnues qui défilent derrière la fenêtre du RER, et rentrer dans une ruche : Un bâtiment, un accueil, des portes fermées, des ascenseurs…
Les sens sont aux aguets… L’écho d’un passé. Quelque chose ressurgit au travers des bruits de couloirs, des passages, des toilettes collectifs séparés hommes et femmes, de la lumière électrique, du vrombissement de la VMC, de l’odeur de nourriture qui s’échappe de la salle du personnel, … et les bavardages, les tons autoritaires, les rires, la machine à café, les portes qui claquent, le son particulier de la photocopieuse, et des téléphones qui sonnent. Les pas feutrés sur le sol lino, le badge qui pend au cou comme un « sésame » indispensable à toute circulation dans le bâtiment, et la pointeuse électronique …
Toute une vie, toute une organisation. Des collègues. Des habitudes.
Un refuge et une prison à la fois. Une sécurité mais aussi un étouffement. Une émancipation mais aussi une réduction de soi. La structure, son organisation, ce qui est attendu de chacun… Le rapport des uns avec les autres. La camaraderie mais aussi le fantôme du chefaillon qui plane…
La rêverie me porte vers des images de l’univers carcéral et, plus léger, au « Temps Modernes » de Charlie Chaplin. Espace clos où l’être est à la merci d’un autre être qui a institutionnellement un pouvoir sur lui… L’entreprise ce n’est ni l’esclavage, ni la prison bien sûr… Mais quid de l’humain et de l’humanité lorsque le collectif et les objectifs prennent le pas sur l’individu et le sens de ce qui est fait ? Quand la relation est hiérarchiquement déterminée par la fonction qui est attribuée à chacun, n’est-ce pas le nid de possible abus de pouvoir ? Surtout lorsque le besoin de travailler, de « gagner sa vie » se fait sentir, un choix est-il possible !?
Et je m’interroge : Nous aussi, psychopraticiens, qu’en est il de notre besoin matériel, celui d’avoir un revenu suffisant pour vivre convenablement ? Comment pèse-t-il ou pas dans nos relations professionnelles ? Car tout travail mérite salaire même et surtout dans le domaine du soin à l’autre.
Car, dans notre monde moderne avoir un travail rémunéré est indispensable. A la fois pour des raisons matérielles mais aussi existentielles. Le travail donne un sens à sa vie et un sentiment de sécurité. Nous voyons sans cesse autour de nous tant de personnes dans le dénuement que sauverait un travail rémunéré suffisamment bien et effectué dans des conditions acceptables. Ne voyons-nous pas encore des êtres faire tout et parfois des choses extrêmes (mendier, voler, se prostituer…) pour survivre et avoir un peu d’argent ? Sortir de la précarité est un impératif…
De la conscience de précarité …
Mais de quelle précarité parlons nous ?
La précarité peut être comprise comme « une peur de perdre des objets sociaux qui constituent pour un sujet une forme de sécurité ».
A ce stade, il est important de différencier la précarité sociale de la précarité psychique.
La précarité sociale s’accompagne d’une rupture du réseau d’étayage constitué par tout sujet dans la société, alors que la précarité psychique désigne le rapport de ce sujet vis-à-vis des autres mais aussi lui-même, de son sentiment d’existence.
Et face à la précarité sociale et/ou psychique, la sécurité matérielle suffirait-elle à la sécurité existentielle ?
Les mythes et rites venus d’Orient nous éclairent : La fête juive de Soukkoth, dite « fête des cabanes » ou encore la fête asiatique de la Lune, qui viennent d’être fêtées, renvoient à cette question de sécurité et plus précisément à la notion de « précarité ».
La fête de Soukkoth est une fête de pèlerinage qui marque la période de l’engrangement des récoltes. Cette fête propose un rituel particulier : il s’agit notamment de construire une cabane à ciel ouvert, avec un toit de branchage, d’y manger, voire dormir. Ces cabanes se trouvent dans les jardins, sur les balcons et terrasses, et dans les cours de certaines synagogues. Ces cabanes symbolisent la précarité de l’habitat des hébreux, nomades, dans le désert entre la sortie de l’esclave en Egypte et l’entrée sur la Terre Sainte.
Un des messages que délivre cette fête est qu’il est important que l’homme garde une capacité à se remettre en question et reste conscient de l’impermanence de ce qu’il a construit autour de sa personne : murailles de bien-être matériel et de confort moral.
En effet, l’idée sous-jacente à l’édification de la cabane du désert vise à amener l’homme à adopter une nouvelle attitude de pensée et d’action afin qu’il puisse effectuer en son être le plus intime une transformation intérieure.
Cette transformation se réalise au travers de deux actions :
- Inviter « l’étranger » et s’assoir avec lui dans la même soukka, dans l’objectif d’atteindre la conscience que les richesses et les ressources de ce monde ne sont en rien à soi, mais à tous et à partager.
- La précarité du toit de la cabane invite l’homme à sentir ses limites malgré son pouvoir quasi illimité de transformation de la matière. Il y a plus grand que soi : l’univers, la nature. La fragilité et la dimension éphémère de la cabane rappelle sans cesse à celui qui y réside qu’il n’est qu’un étranger et un simple passant en ce monde.
La soukka, microcosme, renferme donc en elle deux dimensions essentielles à la transformation intérieure: l’Espace et le Temps. Espace partagé et Temps provisoire.
La fête de la Lune ou fête de la mi-automne est l’une des trois fêtes les plus importantes en Chine.
Elle fut tout d’abord une fête agricole correspondant à la célébration des récoltes. Elle prit de l’importance à partir des Tang où des rites furent tenus à cette occasion dans le palais impérial. La légende attribue cette initiative à l’empereur Tang Xuanzong qui aurait visité en rêve le palais lunaire de la déesse Chang’e. C’est toujours une nuit de pleine lune et la lune est la plus ronde et la plus lumineuse de l’année d’où son nom.
La légende de la fête de la lune.
Il y a fort longtemps, la Terre avait 10 soleils. C’était bien trop pour chauffer la planète et très vite, les soleils firent bouillir l’eau des mers, asséchèrent les terres, rendant le peuple affamé. Les hommes supplièrent alors Hou Yi, archer émérite, de les aider. Celui-ci réussit à décrocher neuf des dix soleils à l’aide de son arc, en laissant un seul, celui qui nous éclaire encore aujourd’hui.
Cependant, devenu roi Hou Yi se comporta en tyran. Voulant obtenir l’immortalité, il alla subtiliser l’élixir de longue vie. Mais sa femme Chang’e, voulant épargner au peuple ces souffrances, s’empara de la fiole et but elle-même le breuvage. Son corps, devenu léger, flotta jusqu’à la lune. Hou Yi, bien que furieux, était très amoureux de sa femme et décida de ne pas décrocher la lune avec l’une de ses flèches, épargnant ainsi son épouse. Complètement désespéré et mélancolique, Hou Yi regardait le ciel en criant le prénom de son épouse… quand soudain, il aperçu avec surprise que la lune était exceptionnellement lumineuse et laissait apparaître une silhouette troublante ressemblant beaucoup à celle de Chang’e. Il essaya de se rapprocher de la lune mais ce fut impossible.
Pour manifester son amour et ses pensées pour sa femme, il ordonna de déposer les fruits et mets préférés de Chang’e dans leur jardin afin de rendre hommage au sacrifice qu’elle avait fait de vivre pour l’éternité dans le palais de la lune.
Ainsi naquit la légende de la fête de la Lune.
Le sens symbolique de cette fête est notamment :
- L’importance de se réunir : La pleine lune symbolise l’unité de la famille et le rassemblement et souligne ainsi l’importance du collectif, de l’autre.
- C’est sous le regard de la lune que ces rassemblements ont lieux. La lune sous la protection de laquelle les êtres se mettent comme une conscience que la protection matérielle a ses limites et qu’il faut rester en lien avec l’Univers.
On retrouve ici cette notion d’espace partagé (rassemblement collectif à l’extérieur des maisons) et de temps provisoire (le moment de cette pleine lune d’automne) qui ramènent à la notion de précarité.
Chacune à leur manière ces fêtes s’inscrivent dans le cycle saisonnier du début de l’automne et viennent fêter le moment où après un lourd travail, la récolte a été faite et engrangée.
C’est donc au moment où le fruit du travail est manifeste dans sa matérialité, qu’est symbolisée par ces rituels, la précarité de la condition humaine mais aussi la conscience du lien entre soi et l’autre et entre soi et l’Univers.
Avoir un toit, une récolte pour se nourrir, être à l’abri du besoin matériel, être entouré… Est-ce suffisant pour ne pas être dans la précarité ?
D’après le Journal officiel tel qu’il le définissait en 1987, on pourrait penser que oui : « La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. »
Au-delà de la sécurité matérielle, qu’en est-il donc des sécurités immatérielles ? qu’en est-il de la précarité psychique ? Qu’en est-il de son sentiment de sécurité existentielle ?
… à la une sécurité existentielle.
Dans l’intimité du cabinet de psychothérapie la précarité surgit au détour des évènements de la vie.
Prenons l’exemple d’une séparation conjugale car elle est source de précarité matérielle, sociale et psychique.
Sur la question matérielle (ce que l’on appel en droit la liquidation de la communauté) : Il faut changer de maison, séparer les comptes bancaires, se répartir les biens communs, régler la garde des enfants lorsqu’il y en a… On voit bien comment la situation de séparation conjugale vient « casser » le nid conjugal. Comment la « Maison Couple » est bouleversée, à l’image du conte des Trois petits cochons, on pourrait dire que la maison de brique devient maison de paille… Et cela est fragilisant pour les personnes qui vivent ce moment de rupture.
Mais au-delà de cette séparation matérielle, il est aussi question de séparation immatérielle : Il s’agit d’attachement, d’amour, d’une relation construite au fil du temps… Et cette séparation d’aujourd’hui qui peut faire à elle seule très mal, ravive fréquemment des blessures passées. La précarité sociale (dans le sens relationnelle) et psychique apparait.
Le patient apporte avec sa souffrance, toute la précarité de l’existence dont il fait l’expérience.
Comment a-t’il intériorisé la sécurité pour pouvoir affronter la précarité existentielle ? Comment reste-t-il en équilibre et dans sa base alors que la vie est si mouvementée ?
Tel est l’un des enjeux d’une thérapie en profondeur telle que le propose l’Analyse Psycho-Organique. Et c’est principalement au travers du corps, et donc de la sensation, mais aussi des images (changement de représentation) que va pouvoir s’incarner cette métamorphose de l’intégration d’une sécurité interne.
L’accueil de la vulnérabilité et de la précarité de chaque être passe, pour le psychopraticien, par un accueil et une ouverture emphatique mais aussi parfois par un aménagement matériel (temps de séance, périodicité, prix de la consultation).
La sécurité en Analyse Psycho-Organique peut être observée sous trois angles (parfois mêlés ou distincts) qu’il est possible d’aborder au cours d’un processus thérapeutique : Retrouver sa base, sentir sa verticalité, mais aussi son enveloppe corporelle et psychique.
Se relier à soi pour se séparer de l’autre, en toute sécurité.
On parle ainsi de différents niveaux de sécurité :
La sécurité ontologique : Il s’agit de la sécurité du corps. Cela parle de comment chaque être a été « porté » physiquement et psychiquement bébé et de la possibilité, ou pas, qu’il a eu de pouvoir s’appuyer, s’adosser sur des adultes (souvent les parents) durant l’enfance.
La sécurité du lien : Cela concerne la manière dont chacun être a pu intégrer l’existence de l’autre, des autres, du monde en son (leurs) absence. A l’image du bébé qui ne peut se passer de sa mère et qui petit à petit, parfois à l’aide d’un doudou, va apprendre à intégrer l’existence de sa mère même lorsqu’il ne la voit pas.
La sécurité identitaire : C’est la capacité d’être au monde, de s’approprier qui on est, de s’affirmer dans sa singularité, bien différencié de l’autre.
C’est ce tricotage complexe et puissant qui s’est tissé au fil de l’histoire de chacun, qui fait qu’un être a en soi suffisamment de ressources, de sécurité, de confiance pour affronter l’adversité et garder conscience de la précarité de la vie tout en restant suffisamment confiant et ancré dans ses bases pour traverser les épreuves.
Bel automne à tous !
Incarnation
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Paresse et vacuité
De l’éloge de la paresse …
… à la vertu de la vacuité.
Kaléidoscope estival
« Je m’ennuie ! » qui n’a pas entendu cette phrase et répondu agacé : « Arrête de te plaindre, c’est bon de s’ennuyer !»
Les vacances arrivent et c’est la panique : Que faire ?!
Mais les vacances est-ce faire quelque chose ? Et pourquoi « faire » ?
En un temps pas si lointain, les vacances n’existaient pas telles que nous les connaissons depuis 1936. Sans faire un inventaire exhaustif regardons un peu en arrière pour éclairer notre lanterne avant la pause estivale :
Dans l’antiquité romaine, Sénèque (Éditions Mille et une nuits, 2015) faisait l’éloge de l’oisiveté.
A cette époque, les Romains privilégiaient les activités sociales et citoyennes, le travail était réservé aux esclaves qui avaient besoin de lui pour une nécessité vitale à la survie économique.
En revanche, les hommes libres, eux, étaient oisifs, ils étaient consacrés aux valeurs exclusivement humaines, où le travail et la consommation ne devaient être présents, c’est-à-dire : la vie publique, les sciences, les arts, les échanges humains, et tout ce qui était bon pour eux. « Le refus de l’activisme civique » était alors une valeur très importante pour parvenir au bonheur.
Sénèque en fait un éloge en définissant l’oisiveté comme un refus des activités matérielles, mais comme une indispensable activité de l’esprit essentiel au bonheur de l’humain. Le bonheur y est donc abordé, l’homme heureux n’est pas oisif au sens de la passivité et de l’ignorance, mais il est celui qui cultive son esprit, qui contemple la nature et le monde, pour en saisir une vérité qui l’éloignerait de l’asservissement et de l’ignorance. Sénèque prône la contemplation intellectuelle car la contemplation implique l’action. Le philosophe critique l’excès d’activité qui tue le bonheur. L’oisiveté est ainsi définit par Sénèque comme un état positif : « l’état d’une personne qui n’a pas d’activité laborieuse » (« laborieuse » se rapportant au « travail »).
C’est ainsi qu’en parle Paul Lafargue (Editions Mille et une nuit, 1997) dans « Le droit à la paresse » à la fin du 19ème siècle, époque où il combattit pour la réduction du temps de travail. Pour ce dernier chacun a le droit d’employer librement le temps plutôt que d’en être l’esclave. « En faisant croire aux ouvriers, à l’aide de l’Eglise, que la vie est travail, les capitalistes passent leur temps à voler celui des travailleurs ». Ces derniers ne devraient pas réclamer le droit au travail – c’est une erreur « masochiste » selon lui -, mais le droit à la paresse.
En 1932, Bertrand Russel écrivait dans « Eloge de l’oisiveté » (Editions Allia, 2002) :
« Sans une somme considérable de loisir à sa disposition, un homme n’a pas accès à la plupart des meilleures choses de la vie (…)
« La bonté est, de toutes les qualités morales, celle dont le monde a le plus besoin, or la bonté est le produit de l’aisance et de la sécurité, non d’une vie de galériens. Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l’aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela, nous sommes montrés bien bête, mais il n’y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment. »
Ainsi donc, l’oisiveté serait une voie d’accès à la bonté.
Prenant en compte l’ensemble de ces réflexions sociologiques et philisophiques, naquit en France en 1936 le droit aux congés payés ! Et nous voilà tous partis nous dorer la pilule sur les plages !
Mais cette notion de « vacances » relève des sociétés modernes occidentales.
En Orient, la notion de « vacuité » est un des fondements des philosophies et pratiques taoïstes et bouddhistes.
Selon le taoïsme, pour parvenir à l’harmonie ultime et universelle, il suffit de suivre le Tao, la Voie, pour arriver à la vacuité (le vide), ce qui confère à l’esprit une lucidité et une liberté extrême puisqu’elle est libérée de toute émotion, de toute prison matérielle.
Chez les bouddhistes, il est question de vacuité considérée sous l’angle phénoménologique : Les objets et phénomènes ne peuvent exister par eux-mêmes, ils sont liés par une chaîne de causes à effets. L’existence d’un phénomène est vue à partir de conditions interdépendantes. La vacuité est considérée comme une voie médiane – un entre-deux – et en tant que telle c’est une façon de ne pas être piégé, soit dans l’idée que les choses existent, soit dans celle que les choses n’existent pas. L’existence et la non-existence sont un dualisme qui est imprégné dans nos concepts et nos façons de penser et de parler. Mais qui sont tempérées par le concept bouddhiste de vacuité.
On voit ainsi que pour les taoïstes – de même que pour les bouddhistes -, la vie est un équilibre entre des contraires, tout élément, tout évènement naturel est contrebalancé par un élément ou une réaction égale et opposée. Cette équilibre peut devenir déséquilibre si un des facteurs prédomine durablement. La vacuité est une vertu !
Mais maintenant, après l’angle politique et social (activité / inactivité) et l’angle philosophique (vide créateur et voie médiane), je propose d’observer les vacances sous l’angle de la temporalité.
Les vacances c’est un temps séparé.
Il est intéressant de regarder une dimension essentielle que le judaïsme propose : La notion de séparation du temps.
En effet, la vie juive est continuellement constituée de temps différenciés : Le temps du quotidien et le temps dit « du sacré ». De même dans la manière de se nourrir où est introduite (ce que l’on retrouve dans de nombreuses autres traditions) une séparation au sein de l’alimentation (tri des aliments mangeables ou non).
La vertu de la « vacance » vient de cette séparation qui permet d’apprécier et de vivre un temps de manière différente. Un peu comme un temps « méditatif » qui n’est pas un temps d’inaction mais un temps d’action différemment vécu et perçu. Une attention particulière portée à autre chose. Un temps de mise en conscience. Un temps d’une nourriture matérielle et spirituelle autre que celle de la consommation quotidienne.
C’est ce temps séparé qui a une vertu.
Le contenu de ce temps est différencié du quotidien de la vie, des habitudes. Son rythme est différent. Actif ou inactif, il est ce temps où les sens retrouvent de la place, comme les émotions qui de nouveau ont le droit de citer. Car le temps de l’être n’est pas le temps du faire ou de l’avoir. C’est un temps à soi, pour soi, un temps au rythme du corps, du coeur et de la respiration.
Ce phénomène est observable en thérapie
Le temps séparé
L’espace thérapeutique est un espace séparé du reste du monde. Il se fait dans un temps bien définit (le temps déterminé de la séance et aussi le temps indéterminé du processus).
A l’intérieur de cet espace, le temps est différent. C’est le temps psychique, le temps du corps et des émotions. Le temps de la symbolisation et de l’incarnation. Un temps hors du temps social.
C’est un temps que le patient occupe comme il souhaite. Hors de ses contraintes habituelles.
Il y vient à la rencontre de lui-même. Souvent troublés par cela au départ, certains patients arrivent avec « des choses à dire », voire une liste… et se sentent désemparés lorsqu’ils prétendent ne « rien avoir à dire »…
Mais c’est aussi ce temps particulier qui permet l’émergence de ce vide créateur.
De l’espace du « vide » vers la vie
Vide du social, vide en soi, vide des contraintes intersubjectives ordinaires…
C’est faire de l’espace en soi, grâce à cet espace fait à soi.
C’est ce trouble créé par ce sentiment et cette sensation d’espace, de vide… cette vacuité du corps tout d’un coup qui laisse la place à la remise en mouvement de l’énergie vitale et à l’harmonisation Esprit/Emotion/Corps.
Et comme le dit Milan Kundera dans son roman « La lenteur » (Editions Gallimard, Folio, 1997) : « Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l’oubli ». Il en tire une équation élémentaire : « Le degré de lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire ; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli ». Cet adage vaut pour les émotions notamment : Aller vite c’est mettre les émotions à distance. Ralentir c’est leur laisser la place de surgir, se laisser traverser, ressentir.
Ce n’est que dans cette « oisiveté » particulière qu’apporte le dispositif thérapeutique, et soutenu par l’accompagnement du psychopraticien, que la conscience émerge et qu’un processus dynamique se met en oeuvre.
L’espace de l’oisiveté créative
Montaigne avait raison lorsqu’il écrivait : « Ménageons le temps ; encore nous en reste-t-il beaucoup d’oisif et mal employé » !
L’absence d’activité, cette oisiveté « forcée » induite par le dispositif, laisse de la place. La place pour l’accès à soi, à son monde symbolique et surtout à la réflexivité, à une autre représentation du monde, de soi et de l’autre et à la créativité.
C’est parce qu’il y a cet espace particulier que le patient peut se mettre au contact de ses ressources internes et externes, qu’il peut sentir ce dont il a manqué et aurait eu besoin et imaginer d’autres possibles. Créer une nouvelle expérience de ce qui fut vécu, est vécu et reste à vivre.
Les vacances c’est créer un temps séparé. Un temps à habiter autrement. Un temps à être.
Que ce soit par action ou inaction, c’est un temps plein de paresse, d’ennui, d’oisivement, de vacuité… Et donc un temps du corps et du coeur. Un temps de retour vers soi, de partage et de créativité.
Bonnes vacances à tous !
Pour aller plus loin :
A écouter…
France Culture – Les chemins de la philosophie, Montaigne, « à sauts et à gambades » (3/4) : « De l’oisiveté » I, 8, https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/montaigne-sauts-et-gambades-34-de-l-oisivete-i-8
A voir…
Une archive Ina d’Henri Salvador faisant l’éloge de la paresse, https://www.ina.fr/video/I07078245
A lire…
S’ennuyer, quel bonheur ! de Patrick Lemoine, Armand Colin, 2007
Eloge de l’oisiveté de Bertrand Russell (manuscrit entier – 25 pages), http://www.esprit68.org/infokiosque/elogedeloisivete.pdf
Le Silence
Le silence est d’or …
… sauf s’il s’agit de se taire !
… par Appelfeld, Le Breton et Kierkegaard,
C’est au détour d’une panne d’inspiration que le thème de ce nouvel écrit m’est venu…
A ne pouvoir écrire, c’est le son qui a capté l’attention de mes rêveries : D’abord celui des oiseaux, puis du vent. Ensuite les échos du bruit de la vie transportés au travers des fenêtres ouvertes en cette saison printanière. Puis le souvenir de ce jour de panne d’électricité où il m’avait semblé que la maison était devenue un désert, mesurant ainsi le vrombissement manquant des machines en veille (box, télé, frigo, pendule…)… Enfin, le souvenir en pleine campagne et à mil lieu de tout être humain du silence que je qualifiais de « vrai » : celui de la nature…
Mais tout cela n’est pas un « vrai » silence… Le vrai est un son à zéro décibel qui n’existe pas en dehors des chambres acoustiques. On sait qu’en haut d’une montage, le souffle d’air imperceptible est d’au moins dix décibels.
Selon David Le Breton, Antropologue, dans « Du Silence » (Editions Métailié, 2015) et face au monde moderne plein de bruits et de paroles incessantes… «Le silence devient alors un vestige archéologique. Anachronique dans sa manifestation il produit le malaise, la tentative immédiate, bien connue à la télévision ou à la radio, de le juguler comme un intrus. Il souligne les efforts qui restent encore à fournir pour que l’homme accède enfin au stade glorieux de l’homo communicans. Simultanément pourtant le silence résonne comme une nostalgie, il appelle le désir d’une écoute sans hâte du bruissement du monde. L’ébriété de parole rend enviable le repos, la jouissance de penser enfin l’événement et d’en parler en prenant le temps dans le rythme d’une conversation qui avance à pas d’homme en s’arrêtant enfin sur le visage de l’autre. Mettre à distance le bruit, à la lettre comme au figuré, pour entendre à nouveau la voix d’un autre ou la rumeur du monde. Et le silence, de refoulé qu’il était prend alors une valeur infinie ».
Il semblerait alors que le silence relève d’une sensation subjective puisque notre ouïe est stimulée en permanence et que par ailleurs, même lorsque nous lisons dans notre tête, l’intensité des mots résonne en nous ! Et cela sans parler du corps qui est aussi bruyant qu’un hall de gare : gargouillis, respiration, battement du coeur…
Cette relation subjective au silence est un creuset d’observation de soi et de mise en conscience. Dans ce silence, il y a le monde symbolique d’une personne, son imaginaire, ses représentations parfois paisibles, voir orgonomiques, mais aussi inquiétantes, angoissantes, voire terrifiantes.
Marcel Proust dans « A la recherche du temps perdu » (du côté de chez Swann, Combray, Pléiade, 1954, p.37) écrit au sujet des sanglots qu’il eu enfant « la force de contenir devant mon père et qui n’éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman »…
: « En réalité ils (les sanglots ) n’ont jamais cessé : et c’est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches de couvents que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu’on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir ».
Si le silence et l’écoute des sensations du passé procurent à Prout un plaisir, elles plongent Aharon Appelfeld dans la guerre et son désarroi d’enfant.
Il écrit dans « Histoire d’une vie » (Editions de l’Olivier, 2004, p.147) : « Les années passées dans la forêt et chez les paysans m’obligèrent à me taire et à écouter… Durant la guerre, je fus obligé de cacher mon identité, la première règle étant le silence. A la place de la parole, je développai l’écoute et la contemplation ». Privé des siens, ramené à une solitude d’enfant sauvage préoccupé de sa survie, il se tait, soit qu’il se méfie de ses rencontres, soit qu’il se trouve écrasé par la peur, soit encore que ce silence lui procure la seule manière de retrouver ses temps heureux de l’avant guerre.
Mais tant Proust que Appelfeld ont en commun de s’abstraire du bruit ambiant, de plonger au plus profond d’eux-mêmes pour prêter attention au ténu des sensations dans ce silence fragile qui relie à l’univers du passé.
Le silence thérapeutique : de la dynamique transformationnelle à la révélation…
Le silence une ressource dans un processus thérapeutique.
Le silence en séance est un temps sans parole.
Il permet au patient d’accéder à son être profond, à ses rêveries, à son corps gardien de ce qui n’a pu être exprimé en son temps.
C’est un espace créateur et de développement du soi, car on sait l’importance de la rêverie dans le développement de l’enfant (Winnicott) : Ce besoin de pouvoir être avec soi, dans son monde, à côté de sa mère sans s’en préoccuper. C’est une expérience qu’il est possible de (re)vivre auprès du psychopraticien.
Ce silence de la parole, c’est aussi l’occasion de rentrer en contact avec son corps de sensations et de le laisser parler (comme le fait Proust) au travers d’images mais aussi de souvenirs ou de surgissements émotionnels.
C’est aussi l’occasion de retourner à un stade antérieur, celui du non-verbal.
Le silence et l’écoute de soi, de son silence intérieur, permet au patient de retrouver la mémoire du corps, ses besoins, son identité et son langage propre.
Le silence, ici, est un moyen de renouer avec soi-même.
C’est tout l’art du thérapeute, guide, que d’apprivoiser le silence, de ne pas en avoir peur. Et même de s’en servir dans la dynamique transformationnelle du processus thérapeutique.
Se taire, laisser la place. Habiter le silence. Encourager même son patient à entendre son silence, à se vivre dans le silence pour laisser émerger un autre monde et se donner accès à soi autrement que par la pensée.
Le thérapeute écoute le silence du patient bien sûr, peut être comme un indicateur de la capacité qu’a ce dernier de rentrer en contact avec ses émotions et sensations au-delà de la parole, mais aussi son propre silence. Celui du thérapeute qui n’a plus de mot pour dire, celui qui écoute les maux au delà des mots. Car une intervention thérapeutique peut être un silence. Ou bien le silence peut marquer un temps de pause qui permet au patient de prendre le temps d’assimiler, d’entendre ce qu’il vient de dire par exemple.
Dire et dénoncer : Sortir du silence
Il y a dans la vie des moments où le silence est imposé explicitement ou implicitement. Par le danger, la famille, l’environnement…
Comme chacun construit son psychisme, ses repères personnels, en interrelation avec ses divers proches, ce n’est donc pas le même discours, ou le même silence, qui est envoyé à chacun.
Les secrets, les non-dits transpirent par le biais d’attitudes étranges ou anxieuses des parents, de l’entourage, par des petites phrases équivoques, des mimiques, ou encore parfois par des voix qui s’altèrent dès qu’un mot, un nom rappelant le drame caché est prononcé. Tout cela représente autant de micro-comportements qui parlent à l’inconscient et indiquent qu’il y a du secret dans l’air… Mais aussi de la souffrance.
Aussi, face au silence, à l’omerta, le psychopraticien peut être amené à nommer la loi, les transgressions, mais surtout toujours à soutenir les patients dans l’expression leurs souffrances et surtout dans la révélation des évènements dont ils ont été victimes… L’espace thérapeutique est parfois le lieu où enfin une personne ose sortir du silence et parler.
Parler et dire les non-dits et les secrets de famille (c’est à dire out ce qui touche essentiellement la mort, les origines, la sexualité, la stérilité, le divorce, la maladie mentale, le handicap, les transgressions morales et/ou juridiques, les revers de fortune.)… Mais aussi nommer et révéler les violences intrafamiliales, les abus et l’inceste, (le « secret des secrets » selon Anne Ancelin Schützenberger).
Car bien souvent, une personne tait ce dont elle a honte. Or pour sortir de la honte il faut dire.
Alors entre silence et expression, c’est un subtil équilibre à trouver pour le patient comme pour le thérapeute. Mais ce qui est sûr c’est que l’expression s’ancre dans le silence, comme le dit Kierkegaard : la parole est « la catharsis du silence » .
« O esprit aimable, toi qui habites ces lieux, je te rends grâces d’environner toujours mon silence de ta paix ; je te rends grâces pour ces heures que j’ai passées ici, occupé de mes souvenirs ; je te rends grâces pour cette cachette que je nomme mienne ! Alors que grandi le calme comme grandissent l’ombre et le silence : formule magique d’exorcisme ! Quoi de plus enivrant que le calme : car, si rapidement que le buveur porte la coupe à ses lèvres, son ivresse ne croît pas aussi rapidement que celle du calme qui clôt à chaque seconde » (« Etapes sur le chemin de vie », Tel, Gallimard, 1979)
Pour aller plus loin :
A écouter…
Emission « Pas la peine de crier » par Marie Richeux – Silence(s) (1/5): Une anthropologie du silence, 22 avril 2013 – https://www.franceculture.fr/emissions/pas-la-peine-de-crier/silences-15-une-anthropologie-du-silence
Suggestions :
A voir…
Jusqu’au 28 août : Monde tsigane, la fabrique des images. Une histoire photographique de 1860 à 1980. http://www.histoire-immigration.fr/agenda/2018-01/mondes-tsiganes
A visionner :
Les routes de l’esclavage, Série de 4 documentaires sur Arte. Une autre piqure de rappel sur l’histoire et les raisons de l’esclavage… A voir ! https://www.arte.tv/fr/videos/RC-016061/les-routes-de-l-esclavage/
A lire …
Le lambeau de Philippe Lançon, Editions Gallimard, 2018 – Le Lambeau est le récit de sa vie avant, pendant et surtout après l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, attentat au cours duquel il a été grièvement blessé. http://www.gallimard.fr/Media/Gallimard/Entretien-ecrit/Entretien-Philippe-Lancon.-Le-lambeau/(source)/301988
L’altérité
Invitation à s’interroger sur l’altérité…
Une représentation de l’Autre
… par Didier Fassin, la controverse de Valladolid et Emmanuel Levinas
Newletter n°6 – Avril 2018
https://mailchi.mp/10ce69583a9e/newsletter-n2-407975?e=76bd50be3d
L’incident IKEA…
Il y a quelques mois, sortant du magasin Ikea avec un chariot plein de colis grands et lourds que je tirais seule, un jeune homme posté à la sortie m’accoste et me propose de l’aide. Cet homme a l’air d’un étranger. Il a un accent. J’interprète son geste non pas comme une offre d’aide, mais comme un « service » à payer d’une petite pièce. Je refuse, agacée.
Je roule péniblement mon chariot jusque ma voiture et entreprends laborieusement d’y glisser ces lourds effets… J’ai du mal avec le dernier paquet (30 kilos et long de 2 mètres). Je souffle, peste, sue la tête penchée sur mon colis lorsqu’un jeune homme s’approche de moi et me demande (avec un accent, mais différent du premier) si je veux de l’aide. Croyant qu’il veut se faire payer, lui aussi, pour ce service, je refuse agacée et continue de tenter de faire rentrer le lourd paquet dans la voiture. Et d’un coup, le jeune homme prend le paquet, le rentre dans la voiture, me sourit et me dit au revoir. Je le regarde, stupéfaite, remonter dans une voiture qui l’attend au milieu de la chaussée à quelques mètres de là et il file. Lui et son conducteur tous contents. Je suis plantée là, et une honte m’envahit : J’aurais voulu courir pour le rattraper ce jeune homme et me confondre en excuse et le remercier. Je suis pétrifiée de honte d’avoir projeté sur cet « autre », étranger, un acte intéressé et vénal.
Dans quel monde je vis pour que cet autre me soit à priori hostile, dépossédant, agressif et surtout intéressé !!! Alors je ne serais plus capable de voir et sentir la générosité ?!
Je ressens alors à quel point, à mon insu, je suis pétrie de représentations complexes sur « l’étranger » ou tout simplement celui qui est différent de moi… Cela me rend perplexe…
Quelques mois plus tard, je tombe sur l’article de Didier Fassin, sociologue et médecin, dans l’Obs du 15 février 2018 (n° 2780, page 80 et suivantes) qui s’exprime et dit à propos des milliers de morts de migrants et du rapport à la valeur de la vie : « Je vois dans cette tragique réalité une hiérarchie dans la valeur des vies. Hiérarchie qui est fonction de la distance que nous créons avec ces êtres humains, moins en termes kilométriques, … qu’en termes anthropologiques, c’est-à-dire parce qu’ils nous semblent « autres ». Leur couleur de peau, leur mode d’existence, leur forme de vie nous les font représenter comme n’appartenant pas tout à fait à notre communauté morale. Nous avons vis-à-vis d’eux des formes extrêmes de liens faibles. »
Je mesure à quel point c’est vrai. C’est bien au travers de cette représentation de l’autre que je n’ai pu, des mois plus tôt, accueillir le geste généreux du jeune homme à Ikea …
Parallèlement, me vient à l’esprit le souvenir de cette affiche d’une exposition du Musée du Quai Branly intitulée « L’invention du sauvage, Exhibitions » et bien sûr je pense à cette autre affiche d’exposition qui titre : « Nos ancêtres n’étaient pas tous des gaulois »…
Pour le moment, c’est de l’autre « étranger » à moi dont il s’agit.
Et cette question de l’autre et de sa représentation remonte à loin. Un exemple parmi d’autres et celui de la controverse de Valladolid. Dans la joute oratoire qui oppose Sepúlveda à Las Casas, les « litiges » (les oppositions de solutions) à la fois révèlent et cachent des « différends » (des oppositions dans la manière de construire les problèmes). Historiquement la solution s’avère décevante puisqu’elle ne reconnaîtra l’humanité des Indiens qu’en la refusant aux noirs d’Afrique, autorisant par là toutes les « triangulaires ». Mais c’est bien au niveau des problématiques que quelque chose se joue, puisqu’à l’intérieur même du catholicisme s’esquisse une nouvelle manière de construire les problèmes de l’Autre, qui certes n’est pas encore celle des Lumières, mais qui rompt pourtant avec la théocratie de l’augustinisme politique. Autrement dit, Sepúlveda et Las Casas se situent bien à l’intérieur d’un super-registre (le catholicisme) mais le premier construit les problèmes en greffant une « axiologie vétéro-testamentaire » (le dieu terrible et le peuple élu) sur la doctrine aristotélicienne de l’esclavage, tandis que la problématique du second fait fond sur le dieu bon de l’Évangile dont nous serions tous les fils. À chaque époque ses intégristes !
Si nous sommes faits de cette culture qui a infiltré notre inconscient collectif de représentations de l’Autre comme étranger, forcément « inférieur » et menaçant, comment peut se construire une relation intersubjectif dans l’altérité ? Là est la question qui va bien au-delà de l’autre « étranger » au sens anthropologique, mais questionne la relation à l’autre « différent » de moi au sens de l’altérité (différencié, qui n’est pas soi)… Et que dire de la relation à cet «étranger en moi » ?
Sur ce point, Emmanuel Levinas apporte quelques éléments de réponse à méditer …
Dans son ouvrage «Le temps et l’autre» (PUF, 2014) sur la question de l’altérité il écrit :
« Autrui en tant qu’autre n’est pas seulement un alter ego ; il est ce que moi, je ne suis pas. Il l’est non pas en raison de son caractère, ou de sa physionomie, ou de sa psychologie, mais en raison de son altérité même. Il est, par exemple, le faible, le pauvre, « la veuve et l »orphelin », alors que moi je suis le riche ou le puissant »
« Si on pouvait posséder, saisir et connaître l’autre, il ne serait pas l’autre. Posséder, connaître, saisir sont des synonymes du pouvoir ».
Dans « Ethique et infini » (Fayard, 1982) sur la question de la relation et la responsabilité il précise :
«La relation intersubjective est une relation non-symétrique. En ce sens, je suis responsable d’autrui sans attendre la réciproque, dût-il m’en coûter la vie. La réciproque, c’est son affaire. C’est précisément dans la mesure où entre autrui et moi la relation n’est pas réciproque, que je suis sujétion à autrui ; et je suis « sujet » essentiellement en ce sens. Vous connaissez cette phrase de Dostoïevski : « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres. » (Les Frères Karamazov, La Pleïade, p. 310). Non pas à cause de telle ou telle culpabilité effectivement mienne, à cause des fautes que j’aurais commises ; mais parce que je suis responsable d’une responsabilité totale, qui répond de toutes les autres et de tout chez les autres, même de leur responsabilité. Le moi a toujours une responsabilité de plus que tous les autres ».
« De même, dans la relation interpersonnelle, il ne s’agit pas de penser ensemble moi et l’autre, mais d’être en face. La véritable union ou le véritable ensemble n’est pas un ensemble de synthèse, mais un ensemble de face à face ».
Et être psychopraticien, c’est un métier : Un apprentissage et une éthique de l’altérité !
La relation est le coeur du processus thérapeutique.
Or, la relation est non-symétrique, comme le dit Lévinas, et la relation thérapeutique a ceci de particulier qu’elle est par nature dissymétrique, régressive et transférentielle.
Compte tenu des représentations, même inconscientes et collectives qui sous-tendent les relations intersubjectives, nous sommes en droit que penser qu’il pourrait y avoir un risque de confusion entre soi et l’autre, ou de prise de pouvoir sur l’autre si aucun travail n’est fait sur soi et sur l’Autre. Pour le psychopraticien, il y a donc a être extrêmement vigilant à ses représentations de l’autre. De même qu’il doit avoir en conscience que son patient a, lui aussi, des représentations de l’autre.
C’est pourquoi pour accompagner une personne, il est nécessaire que le psychopraticien ait une capacité à faire face à l’autre, et donc à l’altérité.
Cela passe par le fait que le thérapeute a accompli un processus thérapeutique personnel (ce qui veut dire qu’il connait ses failles comme ses forces), qu’il a suivi une formation suffisante et rigoureuse (d’au moins 4 ans), et qu’il n’est jamais tout à fait seul dans son travail puisqu’il est continuellement supervisé au fil de sa vie de praticien, le tout encadré par une déontologie.
Les institutions, telle que les écoles et associations professionnelles comme la FF2P sont les garantes de cela.
Voici, par exemple, les critères d’admission pour postuler comme membre adhérent à la FF2P :
Formation : un cursus de 800 heures dans une méthode reconnue par la FF2P, comprenant :
600 heures de formation :
– soit dans une méthode reconnue par la FF2P;
– soit, pour les «multiréférentiels»(combinant 2 méthodes au moins): 600h, dont 300 heures au minimum pour la méthode de référence principale.
100 heures de psychopathologie
100 heures minimum de thérapie personnelle sur deux années au moins
Pratique :
• 300 heures de pratique en cabinet ou en institution avec des patients ;
• 100 heures de supervision individuelle et/ou collective
Une déclaration administrative du mode d’exercice, clairement précisée
Une audition du candidat pourra être demandée par la Commission d’Admission
Etre à jour de sa cotisation
Au delà de cet apprentissage, il y a donc bien une éthique de l’intervention thérapeutique qui permet au praticien d’accéder à une juste posture.
C’est celle à laquelle chaque praticien s’oblige en se considérant comme « responsable » au sens de Levinas.
Cette pratique est encadrée par des règles de conduites, des droits mais aussi des obligations qui sont consignées dans un Code de déontologie.
Car il ne s’agit pas de nier l’existence de l’autre, étranger ou différent de soi, ou encore l’étranger en soi, mais il s’agit d’avoir conscience que chacun est habité par des représentations. C’est le tout à chacun que d’avoir des représentations. Mais c’est autre chose que d’en faire une vérité ou une doxa. C’est cette conscience là qui permet de transformer ou pour le moins de questionner les représentations que nous avons de l’Autre pour tendre vers une relation intersubjective juste, vers l’accueil de l’autre dans sa vérité, vers l’altérité.
Pour aller plus loin…
Un film :
La controverse de Valladolid, Film de Jean-Daniel Verhaeghe, Avec Jean-Louis Trintignant, Jean-Pierre Marielle, Jean Carmet
Des articles :
La controverse de Valladolid ou la problématique de l’altérité, par Michel Fabre, Revue Télémauqe, 2006/1 (n°29), page 160, https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2006-1-page-7.htm
Visage de Levinas par Léon-Marc Levy, Le Monde, 12 avril 2010, http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2010/04/12/visage-de-levinas_1332093_3232.html
Une émission de radio :
France Culture, Les nouveaux chemins de la connaissance, 6 décembre 2012, https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/lautre-44-emmanuel-levinas-labsolument-autre
Encore heureux qu’on va vers l’été !
Suggestions :
A voir…
Jusqu’au 20 mai, Susan Meiselas – Musée du Jeu de Paume, Un regard sur l’Autre…
« C’est une chose importante pour moi – en fait, un élément essentiel de mon travail – que de faire en sorte de respecter l’individualité des personnes que je photographie, dont l’existence est toujours liée à un moment et à un lien très précis » Susan Meiselas – Susan Meiselas est en quête de récits, c’est pourquoi elle couvre un champ géographique et thématique très vaste qui va de la guerre aux droits humains, de l’identité culturelle à l’industrie du sexe. http://www.jeudepaume.org/?page=article&idArt=2948
A visionner :
Quand l’histoire fait date, Série documentaire sur Arte présentée par Patrick Boucheron, Une autre manière de voir l’histoire et la temporalité ,
A voir absolument ! https://www.arte.tv/fr/videos/RC-015950/quand-l-histoire-fait-dates/
A lire …
La Société décente d’Avishaï Margalit, Editions Champs Essais, Flammarion, 2007
« Une société décente est une société dont les institutions n’humilient pas les personnes placées sous leur autorité, et dont les citoyens n’en humilient pas d’autres ».
https://editions.flammarion.com/Catalogue/climats/essais/la-societe-decente
A écouter…
Le triomphe des neurosciences, d’Alain Ehrenberg, France Culture, La grande table, 26 mars 2018, https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/le-triomphe-des-neurosciences-dalain-ehrenberg